L’achat de seconde main est devenu un vrai choix de consommation. Dans un sondage IPSOS réalisé cet automne, 47% des Français se disent prêts à offrir des cadeaux d’occasions pour Noël, contre 18 % l’an dernier. Grande distribution, entreprises textiles, jeunes pousses de l’entreprenariat, le positionnement stratégique sur ce nouveau marché grandit un peu plus chaque année, loin d’une démarche de consommation responsable et solidaire, incarnée par Emmaüs depuis plus de 70 ans.
En proposant de développer une activité économique basée sur la récupération et le réemploi d’objets – autrement dit sur l’économie circulaire – l’abbé Pierre s’est inscrit comme un pionnier de la seconde main, devenue si tendance ces dernières années. Constitutive de l’ADN Emmaüs, elle a été pensée pour être au service d’un projet social et solidaire, et d’accueil inconditionnel de personnes en situation d’exclusion.
Aujourd’hui, le mouvement compte 480 boutiques implantées dans toute la France ainsi que Label Emmaüs, sa propre plateforme de vente en ligne. Ce réseau permet d’accueillir plus de 7 000 compagnes et compagnons, qui retrouvent ainsi un toit et une activité, mais aussi de financer de nombreux emplois en insertion. En 2019 – dernière année d’activité pleine avant la crise sanitaire, Emmaüs a collecté plus de 300 000 tonnes d’objets, devenant le premier acteur du réemploi en France.
« L’économie circulaire » : alibi de nouveau venus sur le marché de la seconde main
L’intérêt croissant des Français pour la seconde main pourrait donc s’interpréter comme un signal positif pour les acteurs de l’économie sociale et solidaire. Mais c’est sans compter sur l’appétit aiguisé de nombreux acteurs de l’économie traditionnelle.
Après l’essor des plateformes de vente en ligne entre particuliers depuis une quinzaine d’années, la grande distribution se met elle aussi à la seconde main. Dans cette nouvelle dynamique, certaines enseignes ont même développé un système de bons d’achats permettant aux consommateurs d’échanger leurs produits usagers contre des produits neufs, complètement à rebours des principes de l’économie circulaire et des enjeux environnementaux pourtant d’actualité, qui nous invitent plutôt à revoir à la baisse notre modèle de consommation de produits neufs.
Vers une fragilisation de la seconde main solidaire ?
Ces pratiques des grands acteurs de l’économie marchande qui confinent avec le greenwashing ne sont pas les seules à poser question. Dans la plupart des groupes Emmaüs, la vente d’objet de seconde main qui ont été donnés, triés et remis en vente, constitue l’une des principales ressources financières. C’est cette activité qui contribue donc essentiellement à mettre en œuvre le projet social depuis plus de 70 ans.
Mais en quelques années, les objets de seconde main se sont transformés en nouveaux produits susceptibles de générer du profit, et ont été partiellement détournés du circuit traditionnel. Au sein du mouvement Emmaüs, on en constate amèrement les effets avec une baisse significative de la qualité des dons, nécessitant de vendre des volumes plus importants pour maintenir l’activité économique et donc, in fine, pour financer son projet social.
En cette période de consommation souvent intensive, le moment semble pertinent pour rappeler que faire vivre la seconde main en donnant à des structures Emmaüs, c’est faire un geste pour la planète, et aussi pour une société plus solidaire.