Tribune – Patrick vit à la rue depuis 5 ans, Rachid depuis 3 ans, Marie vient de perdre son logement. Tous ont envie de travailler. Mais comment peut-on trouver la force de travailler tous les matins quand on est cassé par la rue, qu’on ne dort plus vraiment à cause de l’insécurité qui règne ?
En adaptant à l’extrême le travail à la personne, le Dispositif Premières Heures, lancé en 2009 par Emmaüs Défi, permet à des sans-abri de reprendre un travail et d’intégrer une structure d’insertion. On parle ici des « premières heures » de travail, après des mois ou des années passées à la rue.
Mais Patrick fait face à de grosses difficultés de santé notamment psychiques. Marie fait une demande de logement avec l’assistante sociale du centre d’hébergement où elle vient d’avoir une place. Elle a un
suivi justice et a aussi engagé une démarche de reconnaissance pour son handicap physique. Rachid, ancien comptable, n’a pas travaillé depuis 18 mois et a une addiction à l’alcool.
Qui aujourd’hui est prêt à faire le pari que, dans 3 ans, ils auront un emploi et un logement pérennes ?
Tout le monde peut travailler mais, pour cela, innover est indispensable. Indépendamment de l’aptitude aux postes de travail qui leur sont confiés, les personnes qui ont connu la rue présentent en moyenne 6
à 7 freins à l’insertion et sont accompagnées par plusieurs référents sociaux suivant chacun une problématique spécifique. Pour sortir durablement de la rue, il est nécessaire de placer les personnes au coeur de l’accompagnement.
C’est l’objectif de l’expérimentation « Convergence » lancée par Emmaüs Défi en 2012 avec le soutien de l’Etat, de la Ville de Paris et de fondations privées. Elle s’appuie sur des moyens renforcés mobilisant un important réseau partenarial d’acteurs territoriaux sur les champs de l’emploi,de la santé et du logement. La durée de l’accompagnement est adaptée aux difficultés de la personne et la concertation entre les référents et/ou travailleurs sociaux permet de mettre en oeuvre des solutions durables.
En 2015, après trois ans d’expérimentation et 300 personnes accompagnées, une première évaluation d’impact social a été réalisée et a fait la preuve de résultats encourageants. Dès 2016, une deuxième
expérimentation a été conduite, avec le soutien de la Fédération des Acteurs de le Solidarité Ile-de- France, pour élargir le dispositif : d’abord avec Aurore, puis avec deux autres structures d’insertion parisiennes qui mettent en oeuvre cet accompagnement renforcé. Une étude d’impact social et une analyse des coûts évités, approche nouvelle dans le champ social, ont été réalisées depuis plus d’un an pour objectiver les effets du dispositif.
Les résultats sont au rendez-vous pour les 500 personnes accompagnées : l’efficacité en termes financiers est prouvée. En effet, le surinvestissement mobilisé par le dispositif Convergence est compensé en 22 mois par la réduction du nombre de retours à la rue, l’amélioration des situations logement et l’augmentation du taux de retour à l’emploi.
Le déploiement de Convergence est l’une des mesures retenues dans la Stratégie Pauvreté. Le dispositif sera essaimé avec Emmaüs France et la Fédération des Acteurs de Solidarité, en s’appuyant sur des
structures déjà implantées dans leur territoire.
Un accompagnement renforcé et adapté porte ses fruits. Modifier l’approche de la lutte contre la grande pauvreté est possible : la mobilisation de tous les acteurs est nécessaire. Continuons à innover, à
expérimenter et à évaluer précisément les effets obtenus. Les acteurs de terrain ont besoin de moyens adaptés pour permettre à chacun de retrouver une place digne.
Tribune publiée dans Le Monde le 13 septembre 2018
Les signataires :
Jacques Desproges et Rémi Tricart, Président et Directeur général d’Emmaüs Défi
Hubert Trapet, Président d’Emmaüs France
Isabelle Medou-Marere, Directrice de la Fédération des Acteurs de la Solidarité Ile-de-France.