Donnez une seconde vie aux objets Où donner ? Où acheter ?

Actualité / Accompagnement

« On nous demande de faire plus avec moins »

« On nous demande de faire plus avec moins »

Interview de Marc Prévot, président d’Emmaüs Solidarité. A travers 80 structures réparties en Île-de-France, l’association agit au quotidien dans le domaine de l’hébergement, de l’accompagnement social et du logement d’insertion des personnes sans abri ou en très grandes difficultés. Dans un contexte de crise économique et de réduction des dépenses, il revient sur les défis auxquels le secteur de l’action sociale est aujourd’hui confronté.

art-ES
Quelles sont les principales difficultés rencontrées par les structures de l’action sociale ?

Les premières difficultés, d’une part, sont liées à l’augmentation de la pauvreté ces dernières années. De plus en plus de personnes se retrouvent dans des situations complexes, en défaut de paiement de loyers ou de charges… Quand d’autres n’ont tout simplement plus de solution pour se loger, la pénurie de logements sociaux étant problématique, en Île-de-France notamment. Il y a donc un véritable problème au niveau des demandes, qui sont telles que le 115 ne peut plus répondre à une grande partie d’entre elles (61% de demandes non pourvues en province et 45% à Paris). D’autre part, il y a la question des moyens. Certes, le budget de notre association augmente en même temps que notre activité, mais l’inflation n’est pas prise en compte, les coûts sont de plus en plus importants chaque jour… Et nos dépenses augmentent d’autant plus que l’on ne fait pas seulement de la mise à l’abri mais également de l’insertion, ce qui nécessite l’embauche de personnel qualifié et la mise à disposition de moyens conséquents. En bref, on nous demande de faire beaucoup plus avec beaucoup moins.

Emmaüs Solidarité est une association qui agit sur le terrain mais qui, aux côtés d’autres organisations de lutte contre l’exclusion, interpelle régulièrement le gouvernement sur la « gestion au thermomètre » de l’hébergement, c’est-à-dire liée au rythme des saisons. Deux mois après la fin de la trêve hivernale des expulsions, où en est-on aujourd’hui ?

En région parisienne, on peut noter que des efforts ont été réalisés : ainsi, sur les 425 places d’hébergement ouvertes cet hiver, 182 ont été prolongées. Ceci dit, c’est une gestion qui n’est clairement pas à la hauteur des besoins : les services intégrés de l’accueil et de l’orientation (SIAO) et le 115 refusent du monde tous les jours ! Les personnes qui ont été abritées provisoirementdurant l’hiver et qui n’ont pas pu régler leurs problèmes de logement se retrouvent donc à dormir dehors… Alors que l’on sait très bien que, contrairement aux idées reçues, on meurt autant dans la rue l’été que l’hiver.

Après plusieurs mois d’échanges avec un grand nombre associations, le gouvernement avait adopté au début de l’année 2013 un plan de lutte contre la pauvreté ambitieux. Quel regard portez-vous sur la mise en œuvre – ou son absence – de ce plan d’action ?

Lorsque ce plan a été approuvé, nous avons eu le sentiment que la lutte contre l’exclusion devenait enfin une priorité pour la classe dirigeante. Mais, quelques mois plus tard, il n’en reste rien… En effet, la nécessité de faire des économies à tout prix a remis en cause les mesures phares de ce plan. Par exemple, c’est uniquement grâce à la mobilisation du monde associatif et d’un groupe de parlementaires que la revalorisation du RSA socle a pu être maintenue, et ce de justesse… En revanche, à peine ce plan soi disant adopté, on n’hésite pas à geler le montant de l’APL pour plusieurs années : c’est une véritable catastrophe, car un certain nombre de personnes qui sont aujourd’hui en situation extrêmement précaire par rapport au logement vont désormais basculer. Et venir grossir les rangs de dispositifs d’ores et déjà largement saturés.

Dans ce contexte très tendu, et puisque des économies drastiques sont impératives, comment peut-on faire face ? Quelles sont les alternatives possibles ?

Il ne s’agit pas seulement de la crise économique mais également de la hausse des inégalités entre les plus pauvres et les plus riches, des inégalités qui ne cessent de s’accroître comme le montrent les statistiques de l’Insee. Tandis que les pauvres s’appauvrissent, les classes supérieures voient leurs revenus augmenter et, pour certains, leur taux d’imposition diminuer. Par conséquent, oui il y a une crise, et des économies sont à faire, mais pourquoi doit-on les réaliser sur le dos des plus pauvres ? Et pourquoi a-t-on « grillé » le sujet fiscal en adoptant une mesure en avant, puis une en arrière, alors que la fiscalité, en répartissant l’impôt de manière équitable, est un excellent moyen pour remédier à l’augmentation des inégalités ? Lutter contre l’évasion et la fraude fiscales, faire des économies en mutualisant nos dépenses militaires au niveau de l’Europe, simplifier le mille-feuille administratif… Il existe bien d’autres solutions que de systématiquement « taper sur le social ».