Dans une tribune au « Monde », un collectif emmené par Anne Hidalgo, avec Christophe Alévêque, Alain Mabanckou, Pierre Rabhi,ou Hubert Trapet demande la suspension du règlement Dublin III.
Tribune. L’Aquarius a donc accosté en Espagne. Il faut s’en réjouir pour les 629 personnes embarquées sur le bateau – dont 134 enfants et sept femmes enceintes – qui, après avoir fui les drames de leur pays, être montées sur des embarcations de fortune au péril de leur vie, et finalement secourues, se sont retrouvées pendant trois jours les otages des atermoiements de l’Europe quant à l’accueil des réfugiés.
Alors que les gouvernements européens se livraient à un cynique jeu de ping-pong, à coups de règlements européens et de droit maritime international, l’Espagne, la mairie de Valence et 200 communes espagnoles ayant manifesté leur volonté d’accueillir dans la dignité ces réfugiés font la démonstration salutaire du pouvoir d’agir.
Les textes de loi ne confèrent pas à ceux qui les brandissent pour ne rien faire une image de sérieux ou de responsabilité, bien au contraire. Ils donnent à voir une technocratie kafkaïenne et impuissante qui entrave les plus élémentaires réflexes d’humanité, dans l’incompréhension générale.
« L’Europe : quel port ? », pourrait-on dire, comme un mauvais remake de « L’Europe : quel numéro de téléphone ? » Car c’est bien sa capacité à relever le défi de l’accueil et de la solidarité qui déterminera la pertinence de l’Europe pour les années à venir. Sa légitimité flotte désormais en Méditerranée, à nous de la faire accoster et de l’ancrer dans un projet européen à la fois humaniste et pragmatique. C’est bien l’avenir du projet européen qui est ici en jeu.
Nouveau contexte migratoire
Car les règlements derrière lesquels certains se cachent pour ne pas tendre la main à celles ceux qui viennent chercher refuge en Europe ne sont pas adaptés au nouveau contexte migratoire et sont donc inefficaces.
Le règlement Dublin III prévoit que le pays responsable d’une demande d’asile est le pays par lequel le demandeur d’asile est entré en Europe. Chacun constate aujourd’hui que cela ne fonctionne pas. Mécaniquement, il engorge le dispositif d’asile des pays aux frontières européennes. Et dans le contexte actuel où c’est bien souvent dans la Méditerranée que des hommes et des femmes se jettent, au risque de leur vie, pour fuir leur pays, le règlement Dublin III accule des pays comme Malte, l’Italie, la Grèce.
En cascade, ce règlement est également responsable des campements de migrants qui se forment dans les rues de Paris ou d’ailleurs puisque la demande d’asile de ces « dublinés » relève théoriquement d’un pays qui n’est pas en mesure de les accueillir, et qu’ils sont maintenus en France dans des limbes administratives puisqu’on ne les laisse pas y instruire leur demande d’asile.
C’est pourquoi il faut – les textes le permettent et comme l’a d’ailleurs demandé le défenseur des droits – suspendre l’application du règlement Dublin III. A tout le moins l’appliquer avec pragmatisme, chaque pays restant juridiquement souverain de la décision du transfert.
Populisme et cynisme
L’Italie a répondu à ce système défaillant et à ce manque de solidarité entre Etats européens par un repli nationaliste qui a installé au pouvoir le populisme et le cynisme. Ce n’est pas le contexte migratoire qui est responsable de la montée des extrêmes ou du scepticisme à l’égard de l’Europe, c’est l’impression donnée à nos concitoyens d’une impuissance des pouvoirs publics.
Pourtant, nous pouvons agir à l’échelle européenne et les solutions sont connues : faire face à l’urgence en ouvrant des lieux de mise à l’abri équitablement répartis et en organisant des corridors humanitaires depuis les pays d’où fuient les réfugiés afin d’éviter ces naufrages humanitaires et ainsi couper court au marché qui engraisse les passeurs ; préparer l’avenir en créant une agence européenne de l’asile qui harmonise (par le haut) les standards d’instruction des demandes d’asile, en garantissant un accueil digne des migrants tout le long de leur parcours migratoire en Europe, et en rendant opposable la solidarité entre Etats européens pour assurer que ce devoir d’accueil soit équitablement réparti sur la base de critères objectifs de population ou de richesse tenant compte des efforts de solidarité déjà accomplis.
A moins d’un an des élections européennes, l’Europe a devant elle un grand moment démocratique. Versons au débat qui s’ouvre notre humanité, nos solutions concrètes et offrons ainsi aux Européens une alternative pragmatique au catastrophisme des populistes susceptible de nous faire sombrer.
Les premiers signataires de cette tribune sont : Ariane Ascaride (comédienne), Véronique Fayet (présidente du Secours catholique), Geneviève Garrigos (présidente d’Amnesty International France), Anne Hidalgo (maire PS de Paris), Edgar Morin (sociologue et philosophe), Patrick Pelloux (médecin urgentiste), Eric Pliez (président du SAMU social), Audrey Pulvar (présidente de la Fondation pour la nature et l’homme), Pierre Rabhi (paysan, écrivain), Hubert Trapet (président d’Emmaüs France) et Nicolas Vanier (explorateur).
La liste complète des signataires : Listes des signataires by Le Monde on Scribd