Alors que s’ouvre la Conférence Sociale, plusieurs associations de lutte contre l’exclusion – dont Emmaüs France – signent ce lundi une tribune dans le quotidien Le Monde.
Jusqu’à la publication du rapport de France Stratégie, le compte personnel d’activité ne restait qu’un nouvel avatar d’une idée jamais aboutie d’évolution de notre société. Aujourd’hui, nous savons qu’il peut avoir une portée considérable en créant une nouvelle génération de droits sociaux face au chômage de masse et aux parcours professionnels discontinus qui ne protègent plus de la pauvreté.
Plus de 5 millions de personnes sont privées d’emploi, plus de 14 % des travailleurs sont en contrat précaire – un phénomène croissant puisque 86 % des nouveaux contrats signés en 2014 étaient des CDD, d’une durée très souvent inférieure à un mois – et près de 20 % travaillent à temps partiel. 150 000 jeunes sortent chaque année du système scolaire sans qualification alors qu’un actif sans diplôme sur deux est au chômage. Lier les droits sociaux à l’exercice d’un emploi à temps plein revient dès lors, malgré l’accès aux minima sociaux, à priver toutes ces personnes des droits dont elles ont besoin pour sortir de la précarité.
Associations de solidarité, nous savons que les minima sociaux, dont nous rappelons que les montants sont trop faibles, permettent rarement de conserver son logement, de se soigner ou d’éduquer ses enfants. Quant à la formation, elle est aussi capitale pour ces personnes qu’inaccessible, faute de financements fléchés, de lisibilité et de pédagogie adaptée. Nous le savons : la perte d’emploi et la précarité de l’emploi font courir un risque d’exclusion. Les personnes à faible revenu connaissent elles-mêmes la peur du déclassement et de l’exclusion. En créant une nouvelle forme de sécurité sociale professionnelle, l’Etat et les partenaires sociaux ont une occasion unique de dédramatiser le changement d’emploi, redonner espoir aux précaires et lutter contre le sentiment de déclassement des classes moyennes.
Compte personnel d’activité
La Conférence Sociale doit permettre d’abonder, dès 2016, le compte personnel d’activité pour doter les plus fragiles des droits à la formation et à l’accompagnement qu’ils ne peuvent acquérir par leur travail. L’abondement du compte personnel de formation de 100 heures par demandeur d’emploi du plan Nouvelles solutions contre le chômage de longue durée doit être doublé pour les jeunes sans qualification, les chômeurs de longue durée et les personnes en parcours d’insertion. Le compte personnel d’activité doit aussi donner des droits aux personnes pour réduire leurs freins à l’emploi comme leur mobilité, ou la garde de leurs enfants.
À terme, nous demandons la création d’un véritable droit à l’éducation/formation tout au long de la vie, avec un capital initial de 20 années couvrant la scolarité obligatoire et un socle d’études ou de formation continue pour répondre à la situation des 2 millions de jeunes sans travail ni qualification. Organisons également l’accompagnement pour permettre à tous d’accéder réellement à ce compte. Rien ne serait pire qu’un dispositif que l’on ne saurait pas utiliser. N’en doutons pas : la complexité de nos systèmes de protection sociale et de formation rend ce risque bien réel.
Construisons donc avec les personnes en situation de précarité un outil complet mais simple et élaborons avec elles une offre de conseil à l’utilisation du compte avec le service public et les associations de solidarité, d’insertion et de défense des chômeurs. Répondre à ces objectifs, et à d’autres permettant la valorisation du temps familial et associatif, éviter les pièges que pointe le rapport demanderont du temps et des moyens considérables. Car il s’agit de donner à chacun la possibilité de réaliser ses projets professionnels et personnels sans risquer de tomber dans la précarité. Cette idée peut redonner de la confiance et de l’espoir à notre société ; il ne faut pas reculer. L’Etat et les partenaires sociaux doivent s’engager lors de la Conférence Sociale pour un compte personnel d’activité ambitieux et courageux.
Les 2 millions de personnes très éloignées de l’emploi ne peuvent cependant pas attendre la fin de ce chantier et rester plus longtemps en marge d’un marché du travail toujours plus dual. Outre la réorientation des crédits de la formation et des moyens d’accompagnement en faveur des plus précaires que nous demandons dès 2016, des emplois aidés, des postes d’insertion par l’activité économique ou des contrats d’alternance supplémentaires doivent être créés rapidement. Ces engagements sont essentiels pour les personnes et participeront, à travers la mise en œuvre progressive du compte personnel d’activité, à la refondation nécessaire de notre protection sociale.
Signataires : Louis Gallois, président de la Fédération nationale des associations d’accueil et de réinsertion sociale (FNARS) ; Thierry Kuhn, président d’Emmaüs ; France Pierre Langlade, président de Coorace ; François Soulage, président du Collectif ALERTE ; Véronique Fayet, présidente du Secours Catholique ; Chantal Gautier, présidente du Mouvement national des chômeurs et précaires.
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