Le 1er février 1954, révolté par l’inefficacité des autorités face à la crise du logement populaire alors que l’hiver est glacial et meurtrier, l’abbé Pierre lance un puissant appel à la solidarité à l’antenne de Radio Luxembourg. Un appel à l’humanité en forme de cri du cœur qui provoquera un élan de générosité historique de la part des Françaises et des Français et poussera le gouvernement à débloquer des fonds pour les logements d’urgence.
Alors que la France connaît une intense crise du logement, l’hiver 1954 est particulièrement rude, avec des températures avoisinant les -25°C. Tous les abris et les hospices sont pleins et des centaines d’hommes et de femmes dorment encore dans la rue. Face à leur détresse, l’abbé Pierre tente de convaincre les parlementaires de voter des financements pour édifier des cités de première nécessité, en vain. Parallèlement, lui et les premiers compagnons d’Emmaüs opèrent des tournées dans les rues de Paris pour distribuer aux sans abri des couvertures et de la nourriture.
Début janvier 1954, un bébé meurt de froid dans un campement de fortune d’Emmaüs. Dans la nuit du 1er février, une femme est retrouvée morte Boulevard Sébastopol à Paris tenant sur elle le papier par lequel on l’avait expulsée de chez-elle deux jours plus tôt. Le matin suivant, l’abbé Pierre lance à l’antenne de Radio Luxembourg son désormais célèbre appel, commençant par ces mots : “Mes amis au secours”.
Il provoque un élan de solidarité populaire aussi gigantesque qu’inattendu connu comme « l’insurrection de la bonté ». L’abbé Pierre préfère y voir une « insurrection de l’intelligence contre l’absurde et pour la justice ». Les dons monétaires et matériels affluent.
Le Gouvernement répond également à l’appel et débloque 3 jours plus tard 10 milliards de francs pour la construction de 12 000 logements économiques de première nécessité, soit dix fois le montant demandé deux mois plus tôt par l’abbé Pierre. Le 15 juillet 1954, une loi sur les réquisitions élargit les possibilités de saisie par les préfets de locaux inoccupés pour les mal-logés. Deux ans plus tard, ces événements auront une influence considérable sur le vote d’une loi interdisant les expulsions pendant la période hivernale.
La popularité de l’abbé Pierre devient alors très importante. Cela facilitera la création de nouvelles cités d’urgence, de nouvelles communautés Emmaüs, et le Mouvement se développera très rapidement les années suivantes, en France comme à l’étranger.
70 ans plus tard, le Mouvement Emmaüs est encore pleinement engagé sur tous les fronts de la lutte contre l’exclusion et rappelle au quotidien que nous avons collectivement le pouvoir d’agir sur les situations les plus intolérables.
Mes amis, au secours… Une femme vient de mourir gelée, cette nuit à trois heures, sur le trottoir du boulevard Sébastopol, serrant sur elle le papier par lequel, avant hier, on l’avait expulsée…
Chaque nuit, ils sont plus de deux mille recroquevillés sous le gel, sans toit, sans pain, plus d’un presque nu. Devant tant d’horreur, les cités d’urgence, ce n’est même plus assez urgent !
Écoutez-moi : en trois heures, deux premiers centres de dépannage viennent de se créer : l’un sous la tente au pied du Panthéon, rue de la Montagne Sainte Geneviève ; l’autre à Courbevoie. Ils regorgent déjà, il faut en ouvrir partout. Il faut que ce soir même, dans toutes les villes de France, dans chaque quartier de Paris, des pancartes s’accrochent sous une lumière dans la nuit, à la porte de lieux où il y ait couvertures, paille, soupe, et où l’on lise sous ce titre « centre fraternel de dépannage », ces simples mots : « Toi qui souffres, qui que tu sois, entre, dors, mange, reprends espoir, ici on t’aime »
La météo annonce un mois de gelées terribles. Tant que dure l’hiver, que ces centres subsistent, devant leurs frères mourant de misère, une seule opinion doit exister entre hommes : la volonté de rendre impossible que cela dure. Je vous prie, aimons-nous assez tout de suite pour faire cela. Que tant de douleur nous ait rendu cette chose merveilleuse : l’âme commune de la France. Merci ! Chacun de nous peut venir en aide aux « sans abri ». Il nous faut pour ce soir, et au plus tard pour demain : cinq mille couvertures, trois cents grandes tentes américaines, deux cents poêles catalytiques.
Déposez-les vite à l’hôtel Rochester, 92, rue de la Boétie. Rendez-vous des volontaires et des camions pour le ramassage, ce soir à 23 heures, devant la tente de la montagne Sainte Geneviève. Grâce à vous, aucun homme, aucun gosse ne couchera ce soir sur l’asphalte ou sur les quais de Paris.
Merci !
Abbé Pierre