Alors que la condamnation de la France par la Cour européenne des droits de l’homme l’engageant à mettre un terme à la surpopulation carcérale est définitive depuis ce 30 mai, ils sont près de mille à s’exprimer pour la première fois d’une seule et même voix pour adresser un appel à Emmanuel Macron : la France ne doit pas renouer avec l’inflation carcérale.
« Pour la première fois depuis près de vingt ans, il y a en France moins de prisonniers que de places de prison » : c’est pour cette raison qu’une quarantaine d’associations et organisations professionnelles de la justice, mais aussi des personnalités publiques telles qu’Anne Sinclair, Philippe Claudel, Annie Ernaux, Bruno Solo ou Olivier Py, des hommes et des femmes politiques de tous bords (de la France insoumise aux Républicains en passant par la République en marche), des avocats (Henri Leclerc, Éric Dupond-Moretti, notamment) et leurs représentants (Conseil national des barreaux, Conférence des bâtonniers) rejoignent des centaines d’universitaires, avocats, magistrats, personnels de l’administration pénitentiaire, travailleurs sociaux, soignants pour signer une lettre ouverte adressée au président de la République mercredi 3 juin.
Monsieur le Président,
Pour la première fois depuis près de vingt ans, il y a en France moins de prisonniers que de places de prison. Conséquence d’une crise sanitaire sans précédent, ce qui était hier impossible est devenu réalité : en deux mois, le nombre de personnes détenues a été réduit de plus de 13 500.
Cette situation fait naître un fol espoir. Car si elle résulte de circonstances exceptionnelles, elle impose une évidence incontestable : réduire la population carcérale, prendre en charge en milieu libre ceux qui peuvent ou doivent l’être, n’est ni déraisonnable, ni dangereux. C’est, au contraire, une mesure de salut public. Ces vingt dernières années, la France a connu une inflation carcérale continue qui a contraint les personnes détenues à vivre dans la promiscuité et l’indignité, et a condamné l’institution pénitentiaire à une quête vaine pour donner du sens à une peine de prison avant tout synonyme de désolation, désocialisation et déshumanisation. La baisse inédite que nous venons de connaître nous rappelle qu’une autre voie est possible. Que la volonté politique alliée à la mobilisation de l’ensemble des acteurs de la justice permet de remettre ou de maintenir en liberté des milliers de personnes sans que cela ne présente de danger en termes de sécurité.
Monsieur le Président, nous appelons à ce que cet espoir ne soit pas tué dans l’œuf. Il est essentiel de tout mettre en œuvre pour que la population carcérale ne reparte à la hausse dès la menace immédiate écartée. Le 30 janvier dernier, la Cour européenne des droits de l’homme condamnait la France pour les conditions de détention indignes qui règnent dans ses prisons et, surtout, sommait le gouvernement de prendre des mesures en vue de « la résorption définitive de la surpopulation carcérale ». Avec l’expiration du délai d’appel, cette décision historique est devenue, ce 30 mai, définitive.
La crise que nous traversons amène chacun à faire la preuve de sa capacité à se réinventer : nous demandons que, dans le domaine des prisons comme dans tant d’autres, les enseignements soient tirés. Qu’à la gestion de l’urgence succède une véritable politique de déflation carcérale à même de garantir l’encellulement individuel et des conditions de détention dignes et de favoriser la prise en charge en milieu libre de ceux qui peuvent ou doivent l’être. Nous attendons de la France qu’elle ne soit plus pointée du doigt par les instances européennes pour les traitements inhumains et dégradants qu’elle inflige aux prisonniers.
En mars 2018, vous affirmiez : « Je sais qu’une nation est jugée aussi à travers ses prisons. Beaucoup ne voudraient plus les voir, considérant que c’est la part maudite d’une nation. Mais nous serons regardés à l’aune de ce que nous ferons de cette part de nous-mêmes. » Le moment est venu, l’occasion est là : ne la manquez pas.
Premiers signataires : Estellia ARAEZ, présidente du Syndicat des avocats de France · Pierre-Martin AUBELLE, président de Possible · Aurélien BEAUCAMP, président de AIDES · Esther BENBASSA, sénatrice (EELV) · Ugo BERNALICIS, député (LFI) · Delphine BOESEL, présidente de l’Observatoire international des prisons-section française · Philippe de BOTTON, président de Médecins du Monde France · Rachida BRAKNI, comédienne · Guy-Bernard BUSSON, président de l’Association nationale des assesseurs extérieurs en commission de discipline (ANAEC) · Olivier BRUNHES, dramaturge et écrivain · Dr Béatrice CARTON, présidente de l’Association des professionnels de santé exerçant en prison (APSEP) · Yvon CORVEZ, président du Club informatique pénitentiaire (CLIP) · Sorj CHALANDON, écrivain et journaliste · Philippe CLAUDEL, écrivain et réalisateur · Olivier COUSI, bâtonnier de Paris · Cécile DANGLES, présidente de l’Association nationale des juges de l’application des peines (ANJAP) · Marie DARRIEUSSECQ, écrivaine · Benoît DAVID, président de Ban Public · Dr Michel DAVID, président de l’Association des secteurs de psychiatrie en milieu pénitentiaire (ASPMP) · Christophe DELTOMBE, président de la Cimade · Xavier DENECKER, président de l’Association nationale des visiteurs de prison (ANVP) · Brice DEYMIÉ, aumônier national protestant · Rokhaya DIALLO, journaliste et réalisatrice · Flore DIONISIO, secrétaire nationale CGT insertion-probation · Marie DESPLECHIN, écrivaine · Katia DUBREUIL, présidente du Syndicat de la magistrature · Éric DUPOND‐MORETTI, avocat · Antoine DURRLEMAN, président du Casp-Arapej · Alexandre DUVAL-STALLA, président de Lire pour en sortir · Annie ERNAUX, écrivaine · Didier FASSIN, anthropologue · Éric FASSIN, sociologue · Véronique FAYET, présidente du Secours catholique · Christiane FÉRAL-SCHUHL, présidente du Conseil national des Barreaux · Hélène FONTAINE, présidente de la Conférence des bâtonniers · Bernadette FORHAN, présidente de l’Action des chrétiens pour l’abolition de la torture (ACAT) · Florent GUEGUEN, directeur général de la Fédération des acteurs de la solidarité · Marie HARDOUIN, présidente du Courrier de Bovet · Nancy HUSTON, écrivaine · Stéphane JACQUOT, fondateur de l’Association nationale pour la justice réparatrice · Grégoire KORGANOW, photographe · Jacqueline LAFFONT, avocate · Guy LARIBLE, président d’Auxilia · Christine LAZERGES, professeure émérite de l’Université Paris 1, ancienne présidente de la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) · Henri LECLERC, avocat · Laurence LE LOUËT, co-secrétaire nationale du Syndicat national des personnels de l’éducation et du social-Protection judiciaire de la jeunesse (SNPES-PJJ/FSU) · Pierre LEMAITRE, écrivain · Amélie MORINEAU, présidente de l’association des avocats pour la défense des droits des détenus (A3D) · Florence MORLIGHEM, députée (LREM) · Jean-François PENHOUET, Aumônier national catholique · Franck PITIOT, comédien · Olivier PY, directeur du Festival d’Avignon · Nathalie QUINTANE, écrivaine · Dominique RAIMBOURG, ancien député (PS) · Flavie RAULT, secrétaire générale du Syndicat national des directeurs de prison (SNDP-CFDT) · Laurence RICHARD, secrétaire générale du Syndicat national de l’ensemble des personnels de l’administration pénitentiaire (SNEPAP-FSU) · Sophie ROCHE, vice-présidente d’Emmaüs France · David ROCHEFORT, écrivain · Christian SAINT-PALAIS, président de l’Association des avocats pénalistes (ADAP) · Malik SALEMKOUR, président de la Ligue des droits de l’Homme (LDH) · Lydie SALVAYRE, écrivaine · Alexis SAURIN, président de la Fédération des associations réflexion action prison et justice (Farapej) · Anne SINCLAIR, journaliste · Marielle THUAU, présidente de Citoyens & Justice · Bruno SOLO, comédien · Patrice SPINOSI, avocat · Alain VILLEZ, président des Petits frères des Pauvres · Aumônerie musulmane · Aumônerie bouddhiste des prisons.