Installée en Isère, dans un village situé à 50 km de Grenoble, Tero Loko est une structure Emmaüs qui accompagne vers l’insertion des personnes réfugiées et des habitant·e·s du territoire. Là-bas, le bénévolat est particulièrement dynamique et bénéficie autant aux personnes accueillies qu’à celles et ceux qui y donnent de leur temps.
©Jeanne Frank
En ce mardi de début décembre, c’est l’effervescence à Notre-Dame-de-l’Osier (38). Ce soir, l’association Tero Loko coordonne la 7e édition du marché de Noël de ce village de 500 habitant·e·s situé en Isère. Au programme : plus de 1 000 personnes attendues pour découvrir les 34 stands tenus par les organisations locales, valorisant créations et produits du territoire.
Parmi les exposant·e·s, le marché solidaire et les créations colorées cousues main par les bénévoles de Tero Loko, occupent une belle place sous le préau de l’ancienne congrégation religieuse. Les petites mains des bénévoles, personnes en parcours d’insertion et de l’équipe salariée permanente s’activent pour installer cagettes de légumes récoltés le matin-même, pains et biscuits préparés sur place.

Il y a 7 ans, Tero Loko a fait le pari un peu fou de lancer dans ce territoire rural délaissé par l’Etat, un projet en faveur de l’intégration des personnes réfugiées. Soutenue par une soixantaine de bénévoles, principalement des habitantes de Notre-Dame-de-l’Osier et des villages alentours, l’association est une alternative citoyenne. Chaque année, elle accompagne une trentaine de personnes en parcours d’insertion, orientées par des acteurs publics de l’emploi ou des associations d’aide aux migrant·e·s, sur des activités de maraîchage, boulangerie et vente.
Tero Loko pratique l’accueil inconditionnel, valeur socle du Mouvement Emmaüs. Les visages, âges et parcours des bénévoles sont multiples ! On retrouve Anne, ancienne enseignante, Catherine, qui était formatrice, Marie, étudiante en Service civique, Success, accompagnée par l’association voisine Toit et noix… Et même quelques hommes, à l’image de Hugues, actuellement en formation cuisine, qui découvre la boulangerie au sein de l’association. Pour lui, le bénévolat est « un cadeau », qui lui permet de retrouver une activité et du lien social avant son prochain projet.

Au marché de Noël, les sacs bananes, marmites norvégiennes et autres besaces colorées du stand des « Créaloko » attirent l’œil. Lorsqu’Hélène, Maryse ou Laurence ne sont pas occupées à donner des cours de français aux salarié·e·s en parcours, elles utilisent leurs 10 doigts pour créer des petits objets uniques, en tissus réemployés, qu’elles vendent sur les marchés au profit de l’association. Les couturières de Créaloko proposent également des ateliers ouverts à tout le monde. Ensemble, elles participent à l’animation du territoire et à lever les barrières entre les publics. Pour Hélène, 75 ans, qui a aidé au lancement de l’association, « l’intérêt, c’est le partage ! Tero Loko a redonné vie au village. »
Sur les 16 488 bénévoles qui œuvrent au quotidien dans les structures Emmaüs, 30% ont entre 5 et 10 ans d’ancienneté. Ce chiffre se confirme chez Tero Loko, où la majorité des bénévoles sont engagé·e·s depuis le départ. Un engagement fidèle et durable qui prend plusieurs formes. On peut proposer des événements ou des ateliers de sensibilisation, aider les salarié·e·s en parcours à trouver un travail ou un logement, ou encore accueillir chez soi pour une nuit ou plus, des personnes qui viennent se former. Le développement du pouvoir d’agir est fortement encouragé. « Notre intention était de montrer que l’accueil est une richesse pour le territoire. Nous souhaitions construire un projet pour et avec tout le monde, c’est pourquoi on a souhaité inclure les habitant·e·s » explique Lucie Brunet, l’une des responsables de l’association.

Apprendre le français pour faciliter l’insertion
Le projet d’accompagnement chez Tero Loko a été pensé autour de l’apprentissage du français. La majorité des personnes accueillies sont non francophones mais certaines sont originaires du territoire. Trois fois par semaine, une douzaine de professeures enseignent la langue et les maths. En 2024, 17 apprenant·e·s ont pu bénéficier de près de 3 700 heures de cours. Organisés en petits groupes, ils favorisent un suivi individualisé et permettent de travailler selon le besoin et le projet professionnel de la personne.
L’accompagnement est pensé de manière complémentaire. Il permet aux salarié·e·s en insertion de développer de nouvelles compétences, de se former à d’autres métiers et de bénéficier d’un large réseau. Pour Laurence, 58 ans, il ne s’agit pas seulement d’aider à apprendre la langue : « L’impact est plus fort quand l’information passe par les bénévoles. On est là pour leur répéter autant que de besoin, avec pédagogie. On leur explique des choses qui n’existent parfois pas dans certains pays. L’apprentissage des codes socioculturels par exemple, c’est essentiel pour l’intégration. » Chez les professeures, le constat est unanime : les personnes qu’elles accompagnent, peu habituées à demander de l’aide, témoignent d’une grande reconnaissance.

L’un des fonctionnements clés de la structure est la réciprocité entre les personnes. Au maraîchage et à la boulangerie par exemple, ce sont les salarié·e·s en parcours qui guident les bénévoles, et non l’inverse. « Le projet de Tero Loko fait écho à plusieurs de mes valeurs : contribuer à mettre du lien entre des personnes immigrées ou en décrochage social est important pour moi. Depuis 3 ans, je reçois autant que je ce que je donne. » confie Emilie, bénévole des premiers jours. Kinésiologue de métier, elle propose chaque mois un atelier individuel pour prendre soin de son corps et de ses émotions.
Chez Tero Loko, les émotions circulent. C’est aussi par-là que passe la transmission : partager son histoire pas toujours facile, ou au contraire, des moments de joie qui dépassent le cadre de l’association. Ce soir par exemple, Farhia, ancienne salariée en insertion, a rendu une visite surprise aux équipes. Venue de Somalie et accompagnée durant deux ans, l’association l’a aidée pour la réunification familiale de ses six enfants. Aujourd’hui, c’est au tour de son fils Jama d’être accompagné.

En 7 ans, Tero Loko a fait ses preuves dans l’accompagnement des personnes avec en moyenne 87,5% de sorties dites « positives », vers l’emploi et le logement. La réussite du projet repose notamment sur un nombre croissant de bénévoles. Leur soutien est précieux, particulièrement dans une situation économique toujours plus fragile. Si elle est confirmée par l’adoption du projet de Loi de finances, la coupe budgétaire pour le secteur de l’IAE (-14%) va impacter significativement le développement de l’association, qui devra renoncer à l’accompagnement de 3 personnes.
Face à l’hostilité qui monte envers les personnes exilées, Tero Loko revendique la valeur ajoutée que représente l’accueil pour une société. Elle souhaite aujourd’hui sensibiliser le public local aux questions de migration et réaffirmer l’importance de l’hospitalité. L’association espère prouver que le « faire ensemble » est possible et, pourquoi pas un jour, que son projet essaime ailleurs.