Depuis quelques semaines, les centres d’hébergement ouverts pendant l’hiver ferment leurs portes, les expulsions locatives ont repris et les démantèlements de campements et de bidonvilles se poursuivent. En été, 70% des demandes au 115 restent sans réponse, contre 50% en hiver. La situation sur le front du logement et de l’hébergement est aujourd’hui critique, et les perspectives demeurent peu encourageantes. Entretien et précisions avec Frédérique Kaba, directrice de territoires à Emmaüs Solidarité.
Les places d’hébergement ouvertes au titre du plan hivernal sont en train de fermer les unes après les autres, alors que l’on sait que l’on meurt à la rue autant en été qu’en hiver. Comment expliquer ce calendrier ?
La fin officielle du plan hivernal est fixée au 31 mars. Mais depuis deux ans, il s’étire dans le temps car tous les partenaires de la veille sociale sont tenus de trouver des solutions d’orientation à minima vers un hébergement lorsque les places d’hiver ferment… Sauf qu’il n’y a pas assez de propositions ! Avec la loi DALO, nous ne sommes pas supposés remettre les personnes à la rue, malheureusement nous n’avons parfois pas le choix. En 2012/2013 à Paris, 1300 places ont été ouvertes avec le plan hivernal, et seules 700 sont pérennisées, sous conditions (mises à disposition pérennes des bâtiments, budget de fonctionnements adaptés…). Il y a donc d’ores et déjà un manque de 600 places. Sans compter les personnes qui n’ont pu cette année bénéficier d’un hébergement, et celles qui sont expulsées depuis le 31 mars 2013 et qui ne se verront pas proposer de compensation.
Quelles sont les conséquences directes de ces fermetures ?
Faute du nombre de places adaptées, il y a de plus en plus de personnes qui ne disposent plus de solutions d’hébergement et qui se retrouvent à la rue. Les chiffres sont d’ailleurs sans appel : selon l’Insee, le nombre de personnes sans domicile a progressé de près de 50% entre 2001 et 2012… Et cette augmentation s’est particulièrement accélérée ces quatre dernières années. Depuis 2008, la courbe ne cesse en effet de grimper, et la santé physique ou l’état mental des personnes qui vivent dans la rue continue de se dégrader.
Quelles sont les populations les plus fragilisées ?
Parallèlement à la hausse évoquée plus haut, on constate une diversification des publics qui se retrouvent à vivre dans la rue. Je pense notamment au nombre de familles, qui explose ces deux dernières années. Aujourd’hui, des enfants dorment chaque jour dans les rues de plusieurs villes de France. Certaines familles sont relogées dans des hôtels – 12 000 nuitées par jour pour le 115 Paris, soit à peu près 6000 chambres mobilisées –, ce qui n’est pas une solution durable ! Ces options représentent des sommes conséquentes… Et c’est un environnement particulièrement instable pour les enfants. Autre public fragilisé, les personnes en grande souffrance psychologique, voire psychiatrique, et physique. Il n’y a pour elles plus de solution, l’hôpital ne peut plus les accueillir.
En période de crise, beaucoup estiment que trouver une solution à toutes ces situations dramatiques est une cause perdue, et les financements se font rares. Pensez-vous qu’il existe néanmoins des alternatives ?
Le 17 juin 2013, à 15h, 700 appels au 115 Paris étaient déjà sans réponses d’orientations… Rien que pour cette journée ! Aujourd’hui, en Ile-de-France, plus de 400 000 demandes pour un logement social sont en attente. Donc en effet, la situation est particulièrement tendue. Ceci dit, je pense qu’avec un peu de volonté politique il existe des solutions. Pour la partie logement, construire du logement social, travailler sur la prévention des expulsions en mobilisant les services sociaux, encadrer les loyers… Pour la question de l’hébergement, je crois qu’il est nécessaire de réfléchir à des solutions nouvelles pour les personnes ayant des troubles psychologiques, pourquoi ne pas imaginer des micros structures comme des logements partagés. Et il me semble, enfin, qu’il faudrait réfléchir à une occupation du territoire plus ouverte et plus homogène.
La situation actuelle n’invite donc pas à l’optimisme. Pourquoi est-ce d’autant plus important de poursuivre ce combat pour une meilleure politique du logement et de l’hébergement?
Si le tableau est noir, il y a eu, paradoxalement, des avancées majeures. Les structures d‘accueil et d’hébergement sont aujourd’hui de bien meilleure qualité qu’il y a dix ans par exemple. Nous sommes passés du dortoir aux conditions irrespectueuses à des chambres de une ou deux personnes, où la dignité des personnes est respectée. Pourquoi est-il aujourd’hui nécessaire de poursuivre ce combat ? Car même si les temps sont difficiles, même si les moyens ne sont pas là, nous ne pouvons pas arrêter de dire qu’il faut aider les personnes les plus vulnérables, de dire que leur situation n’est ni normale ni irréversible… Sinon on va oublier qu’ils existent, et cela, ce n’est pas possible.