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Actualité / Logement

Quatre questions à Christophe Robert, délégué général de la Fondation Abbé Pierre (membre du Mouvement Emmaüs)

Quatre questions à Christophe Robert, délégué général de la Fondation Abbé Pierre (membre du Mouvement Emmaüs)

Le 2 février dernier, la FAP a présenté son 27e rapport sur la mal logement dans le contexte particulier de l’élection présidentielle, 5 ans après une promesse du président sortant qui s’engageait à sortir de la rue toutes les personnes qui y survivaient.

Quel bilan faites-vous des politiques publiques en matière de logement mises en œuvre pendant le précédent quinquennat ?

Nous en dressons un bilan très critique. Le logement, grand oublié du quinquennat, a fait l’objet de coupes budgétaires inédites, en particulier sur les APL, pour un montant de 15 milliards d’euros au cours du mandat, dont 4 milliards en 2022. Ces coupes ont affecté les ménages modestes qui en bénéficient pour payer leur loyer, accéder à la propriété ou financer des travaux, mais aussi les bailleurs sociaux, qui sont ponctionnés à hauteur de 1,3 milliard d’euros par an. Cela a contribué à la chute de 30 % par an de la production HLM, qui est repassée sous la barre des 100 000 financements en 2021.

Le bilan est plus mitigé en ce qui concerne la lutte contre le sans-abrisme. Le gouvernement a eu le mérite de lancer un plan Logement d’abord, qui a produit des expérimentations intéressantes pour orienter vers le logement des personnes sans-domicile, même si les financements dédiés et les résultats restent très modestes au regard des plus de 300 000 personnes sans-domicile. Quant à la rénovation énergétique des logements, elle a décollé depuis le plan de relance de 2020, mais consiste avant tout en une massification de simples gestes, plutôt que des rénovations complètes et performantes.

Aujourd’hui, le diagnostic de la situation autour du mal logement fait l’objet d’un quasi-consensus en France. Par ailleurs, le rapport de la FAP est un moment fort du débat public sur la question et a probablement contribué à mettre en lumière les moyens à mettre en œuvre pour enrayer le phénomène. 

Comment expliquez-vous que la situation n’ait pas changé significativement ces 30 dernières années et qu’une question si prégnante dans le quotidien de tant de Françaises et de Français soit ainsi reléguée au second plan ? 

La situation a beaucoup changé depuis trente ans, mais les tendances sont parfois contradictoires et difficiles à lire. Les Français sont en moyenne mieux logés aujourd’hui qu’il y a trente ans, mais paient leur logement plus cher, ce qui laisse sur le bord de la route des millions de personnes. De nombreuses lois importantes ont été adoptées, comme la loi SRU ou la loi DALO, mais leur mise en œuvre se heurte à une pénurie de logements et des inégalités spectaculaires. Ce sont ces inégalités qui expliquent la difficulté politique à faire reculer le mal-logement. La hausse des prix et la pénurie de logement pénalisent les plus modestes, mais profitent également à certaines catégories de la population influentes électoralement : les propriétaires fonciers, les multipropriétaires, les bailleurs privés, les héritiers, et de manière générale celles et ceux qui ont pu acheter un bien dans de bonnes conditions. À l’inverse, les 4 millions de personnes mal-logées sont très minoritaires et bien peu influents politiquement, voire largement stigmatisés dans le débat public, qu’il s’agisse de personnes en bidonvilles, d’exilés, de personnes au chômage, etc. 

Le mal-logement est donc un sujet éminemment politique, mais également politiquement sensible. Si l’on y ajoute sa technicité parfois décourageante, la multiplicité des autorités en charge du sujet, la grande différence de sa prégnance selon les territoires et le sentiment qu’il n’existe pas de solutions simples pour s’en emparer, on comprend que le sujet rebute parfois les candidats.

Après la présentation du rapport sur l’état du mal logement en France, la Fondation publie également des déclinaisons régionales.

Avez-vous constaté un impact spécifique des informations contenues dans ces éclairages régionaux sur les politiques publiques développées par les collectivités ou par les acteurs locaux du logement ? 

L’influence des agences régionales de la Fondation Abbé Pierre est toujours difficile à mesurer précisément et ne se limite pas au moment de la présentation des éclairages régionaux. On peut toutefois penser que les interpellations de la Fondation sur certains sujets locaux ont amené les pouvoirs publics à s’y investir davantage, que l’on pense à la précarité énergétique et au mal-logement en centre-Bretagne, aux marchands de sommeil et aux expulsions locatives en Île-de-France, à la cabanisation dans l’Hérault, au sans-abrisme à Lyon, aux loyers abusifs à Bordeaux ou à l’habitat indigne à la Réunion, entre autres.

Au Pays-Basque, une jeune organisation (ALDA) milite activement pour rendre accessible le parc de logements privés aux résidents permanents, qui a été considérablement cannibalisé par les sites de location touristiques dont Airbnb est le fer de lance. Après de multiples actions symboliques fortes et non-violentes, ils ont récemment obtenu des autorités locales la mise en place d’un dispositif de compensation, visant à obliger tout bailleur Airbnb à mettre à disposition un autre bien en location longue durée.

Que pensez-vous de cette démarche et d’après vous, devrait-on s’en inspirer sur le reste du territoire ?

L’initiative d’Alda est porteuse d’espoir. Il s’agit d’un mouvement issu de la société civile basque qui avait déjà vu naître un mouvement populaire aussi dynamique qu’Alternatiba sur le climat. Ici aussi, la réussite remarquable est d’avoir su mobiliser de nombreux jeunes bénévoles autour d’un sujet complexe comme le logement, à partir d’une véritable enquête populaire destinée à cerner les principaux problèmes de la population basque. À travers un vrai travail d’éducation populaire, ils ont réussi à organiser une manifestation de près de 10 000 personnes face au logement cher. Mieux, ils ont identifié deux enjeux précis et ont obtenu des victoires : un accord pour encadrer les loyers à Bayonne et pour réguler Airbnb, en décourageant les conversions de logements locatifs de longue durée en locations saisonnières. C’est un exemple pour de nombreuses collectivités mais aussi pour les mouvements sociaux qui cherchent à agir sur la question du logement.