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« Notre activité de semences paysannes est politique », entretien avec Charles Poilly, responsable d'Emmaüs Le Maquis  

« Notre activité de semences paysannes est politique », entretien avec Charles Poilly, responsable d'Emmaüs Le Maquis  

Implantée en Lot-et-Garonne, l’association Le Maquis est devenue en 2022 la 123e Communauté Emmaüs de France. Construite autour d’un projet politique fort, elle défend une vision alternative de l’agriculture et de la solidarité sur les territoires ruraux. Son activité de production de semences paysannes a connu une nouvelle étape début 2025, avec le lancement de son site de vente en ligne. Entretien avec Charles Poilly, responsable de la structure.

Peux-tu présenter Emmaüs le Maquis ?

L’association « Le Maquis » a été créée en 2021, à Moncrabeau (47), avant d’entrer dans le Mouvement Emmaüs l’année suivante. Nous sommes aujourd’hui 4 salarié·e·s et 7 Compagnes et Compagnons. Plus d’une vingtaine de bénévoles accompagnent le projet depuis son lancement.

L’accueil social, au lieu de s’appuyer sur une activité de ressourcerie, est basé sur la production et la transformation de produits agricoles. Nous cultivons 55 hectares, dont une majorité en culture céréalière transformée en farine et en pain, activité historique du lieu. A cela nous avons ajouté une production de semences potagères. En 2022 et 2023, nous avons produit les graines de 110 espèces de plantes potagères. Chaque année s’ajoutent 50 nouvelles variétés. Le maraîchage permet de nourrir partiellement la Communauté. L’essentiel de nos activités repose sur la sélection et la reproduction de semences biologiques paysannes.

Pourquoi une Communauté Emmaüs autour des semences paysannes ?

Emmaüs le Maquis est né d’un constat partagé par Patrick de Kochko et moi-même. Nous accueillions déjà dans nos fermes des personnes exilées en demande de régularisation et n’avions pas de solution pour qu’elles puissent participer à l’activité agricole. L’initiative portée par Cédric Herrou à Emmaüs La Roya (06) a inspiré notre réflexion : comment faire vivre une trentaine de personnes tout en poursuivant nos activités ? La sauvegarde des variétés anciennes était un combat de longue date que nous menions avec les autres membres de l’association. Des amis semenciers bio qui cherchaient à essaimer nous ont donné l’envie de nous lancer dans la production de semences potagères.

Peux-tu nous en dire plus sur ce que sont les semences paysannes ?

Depuis 13 000 ans que l’agriculture est née, les semences ont toujours été cultivées et diffusées par les paysans et paysannes. Les industriels s’en sont emparés après la Seconde Guerre Mondiale, en promettant des rendements plus importants. En réalité, une agriculture mortifère, avec l’arrivée des pesticides, et des agriculteurs pris en otage.

Les graines industrielles sont pour la plupart stériles dès la deuxième génération. Contrairement à elles, les semences paysannes peuvent être croisées et se reproduire naturellement. C’est comme une population, elles ne sont pas uniformes. Il existe une énorme diversité de goût entre les différentes variétés d’une même espèce ! Elles favorisent une gastronomie particulière, qui nécessite de fouiller parfois les vieux manuels de cuisine…

Les semences sont aussi nécessaires pour s’adapter à des changements majeurs, environnementaux ou autres. La sélection naturelle se fait entre les espèces les plus adaptées. Pour faire notre pain par exemple, on travaille actuellement sur plusieurs croisements de blés cultivés dans le sud de la Méditerranée et dans le Sud-Ouest, afin de sélectionner selon la résistance à la sécheresse. À Emmaüs Le Maquis, notre idée est que le vivant n’a pas de frontière et ne devrait pas être breveté ou sujet à l’emprise d’une industrie.

Pourquoi avoir choisi un site de vente en ligne pour vendre les semences ?

Notre modèle économique se base sur la production agricole mais nous ne sommes pas encore complètement autonomes financièrement. On compte beaucoup sur le développement du site pour nous y aider. L’avantage est que les petits sachets peuvent s’envoyer facilement et partout en France. Les partenariats avec d’autres Communautés se multiplient aussi. Nos graines sont à retrouver dans une vingtaine de salles de vente Emmaüs ! Ces initiatives permettent de sensibiliser un public plus large et parfois plus éloigné de nos sujets. C’est nécessaire pour entamer une révolution écologique.

Début 2025, la Communauté Emmaüs Le Maquis a lancé son site de vente en ligne, pour diffuser ses semences paysannes partout en France.

Qu’apporte l’activité agricole à l’accompagnement des personnes ?

On constate que le fait de vivre au calme au milieu des plantes, d’avoir les mains dans la terre ou d’être au contact de la pâte à pain toute la journée, apaise les personnes et apporte un sens nouveau à leur quotidien. Nos activités sont propices à la reconstruction : nourrir les gens apporte énormément de sens, même pour s’intégrer au sein de la société. Quand les Compagnes et Compagnons vendent au marché le pain qu’ils·elles ont préparé, c’est valorisant ! Ça peut créer des vocations, comme pour un ancien Compagnon passé par ici qui travaille aujourd’hui en boulangerie. Il a obtenu un permis de séjour et intégré notre Conseil d’administration en tant que bénévole.

Comment se passe l’apprentissage du maraîchage et des semences ?

Chez nous, la formation se fait à plein de niveaux. C’est tout un art de cultiver les légumes et d’en tirer les graines ! Chacun nécessite des procédés différents, un séchage particulier… plein de petits savoir-faire acquis au fur et à mesure. Les Compagnes et Compagnons apprennent au contact d’Antoine, ex-maraîcher-producteur de semences dans l’Hérault. Pour les graines, il y a plusieurs étapes : les cultiver, les sélectionner, les récolter, les sécher, les battre puis les trier. Enfin, il faut les répertorier et effectuer les tests de germination avant de les inscrire dans la base de données. Les plus beaux légumes sont pris en photo et présentés sur le site internet.

En quoi le projet participe-t-il d’une autre vision de l’agriculture et de l’alimentation ?

Notre projet initial était aussi politique. En nous installant, nous souhaitions mêler justice sociale et agriculture. On constate de moins en moins de diversité à la campagne, les gens sont de plus en plus enfermés chez eux. Ramener de la mixité en zone rurale était très important pour nous, pour lutter contre le sentiment de rejet qui est à la racine de ce que propose le Rassemblement national. Autour de nous, le voisinage change peu à peu ! On se parle, on se donne des coups de main. L’humanité est toujours plus forte et ça c’est très beau.

Aujourd’hui, on prend aussi conscience que le système agricole et alimentaire est à bout de souffle, avec des gens qui se nourrissent de plus en plus mal et les problèmes de santé que cela implique. Sans compter les nombreux impacts écologiques liés aux modes de production. On a besoin de construire d’autres récits, d’imaginer un futur plus sain et englobant pour toutes les personnes. Plutôt que de fermer nos frontières, l’idée est justement d’inviter à contribuer à des projets comme le nôtre, porteurs de sens !

Quels sont les prochains projets de la Communauté ?

Nous poursuivons les travaux entamés l’an dernier, pour fermer le bâtiment qui sert à la production de graines potagères et gagner en confort de travail. Nous préparons aussi le chantier du premier bâtiment « en dur » du village. La première phase sera confiée à des artisans mais la suite sera proposée sous la forme de chantiers participatifs, tout l’été. Nous souhaitons apporter de la vie à la Communauté, de l’échange ! En 2026, nous espérons le démarrage de la construction de 12 appartement dans des habitats « passifs » en paille et avec des toits de chaume, afin de remplacer les bungalows des Compagnes et Compagnons.

Emmaüs Le Maquis a plusieurs projets pour développer ses bâtiments d’activité et les logements des Compagnes et Compagnons.

©Pierre Faure