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NOS PRISONS SONT DES CONCENTRES DE MISERE

NOS PRISONS SONT DES CONCENTRES DE MISERE

Dans le journal « Le Monde », daté du 17 août, Thierry Kuhn, président d’Emmaüs France, et Samuel Gautier, réalisateur du documentaire « A l’air libre », battent en brèche l’idée agitée par les responsables politiques de construire de nouvelles prisons er appellent à un nouveau plan cohérent pour réduire au maximum la population carcérale.

Une nouvelle fois, nos prisons sont au centre des attentions politiques et médiatiques : record absolu du nombre de prisonniers, surpopulation galopante, conditions de détention inhumaines et dégradantes, baisse dramatique du nombre d’aménagements de peine, taux de suicide intra muros alarmant : rien que nous ne sachoions déjà.

Bien da­van­tage que des lieux pri­va­tifs de li­berté, nos pri­sons sont, par leur es­sence même, des concen­trés de mi­sères af­fec­tives, so­ciales, sa­ni­taires ou en­core sexuelles. « École du crime » dans la bouche même de surveillants pé­ni­ten­tiaires ex­té­nués, ins­ti­tu­tion gé­né­ra­trice de sourdes co­lères et de frus­tra­tions ex­trêmes, l’ins­ti­tu­tion car­cé­rale échoue la­men­ta­ble­ment à rem­plir les fonc­tions qui lui sont as­si­gnées : pro­té­ger la so­ciété et ré­in­sé­rer ceux d’entre nous qui lui sont confiés. « Si la pri­son était une en­tre­prise, il y a bien long­temps qu’elle au­rait fait faillite » énon­çait il y a quelques an­nées Pa­trick Ma­rest, alors dé­lé­gué gé­né­ral de l’Observatoire in­ter­na­tio­nal des pri­sons (OIP). Avec un taux de ré­ci­dive de plus de 60 %, la pri­son est en effet loin d’as­su­rer à cha­cun de nous tranquillité et sé­cu­rité.

Da­van­tage de pri­sons?

De­puis quelques jours, nos re­pré­sen­tants po­li­tiques tous bords confon­dus as­sènent qu’il nous faut da­van­tage construire de pri­sons. Avec un dis­cours aussi ir­res­pon­sable que dan­ge­reux, notre person­nel po­li­tique fait preuve de­puis trop long­temps sur ces ques­tions d’une im­ma­tu­rité cou­pable, les ins­tru­men­ta­li­sant éhon­té­ment à des fins po­li­ti­ciennes.

Ces der­niers sou­haitent au­jour­d’hui en­ga­ger notre so­ciété vers la voie d’un sur-emprisonnement de sa po­pu­la­tion sur la­quelle même les États-Unis, face à l’échec de cette poli­tique, font ma­chine arrière. Outre le coût finan­cier exor­bi­tant de cette po­li­tique par ailleurs dé­sas­treuse en ma­tière de co­hé­sion so­ciale, nos pri­sons sont le trou noir de notre pensée en ma­tière de prise en charge des au­teurs d’in­frac­tions et de crimes. Pièces maîtresses d’une ins­ti­tu­tion qui porte en elle une im­pla­cable lo­gique d’ex­clu­sion ache­vant de mar­gi­na­li­ser et de pau­pé­ri­ser ceux qui, sou­vent en grande pré­ca­rité, en rup­ture so­ciale et fa­mi­liale, y sont en­voyés, elles n’offrent au­cune es­pé­rance d’un monde meilleur à ceux et celles qui y vivent.

Un vé­ri­table « pro­gramme d’ac­tion »

« Le pou­voir est fait, non pour ser­vir le pou­voir des heu­reux mais pour la dé­li­vrance de ceux qui souffrent in­jus­te­ment », es­ti­mait l’abbé Pierre il y a tout juste dix ans.

Il y a au­jour­d’hui ur­gence à amé­na­ger mas­si­ve­ment les peines des per­sonnes condam­nées pour des faits n’ayant pas consti­tué d’at­teintes aux per­sonnes. Il est en effet une aber­ra­tion de sa­voir aujour­d’hui ces per­sonnes em­pri­son­nées alors même que des peines de ré­pa­ra­tion, comme le tra­vail d’in­té­rêt gé­né­ral par exemple, existent dans notre ar­se­nal lé­gis­la­tif.

Il faut, en se­cond lieu, re­faire de la dé­ten­tion pro­vi­soire une ex­cep­tion pour des per­sonnes que notre code pénal consi­dère comme pré­su­mées in­no­centes : ces der­nières re­pré­sentent aujourd’hui près de 30 % de la popula­tion car­cé­rale. La France a éga­le­ment be­soin, comme ce qui a été mis en place dans nombre de pays eu­ro­péens, d’un plan mas­sif et co­hé­rent de dévelop­pe­ment des aména­ge­ments de peines et des al­ter­na­tives à l’in­car­cé­ra­tion, me­sures consi­dé­rées comme les meilleurs rem­parts à la ré­ci­dive. Non en créant de nou­veaux dispositifs lé­gis­la­tifs mais en en­ga­geant mas­si­ve­ment la so­ciété ci­vile dans la voie de l’accompa­gne­ment des per­sonnes pla­cées sous main de Jus­tice : chaque col­lec­ti­vité ter­ri­to­riale et chaque as­so­cia­tion fran­çaise qui le sou­haite doit pouvoir être ac­com­pa­gnée et in­ci­tée financiè­re­ment à ac­cueillir en son sein des per­sonnes condam­nées à une peine al­ter­na­tive à l’in­car­cé­ra­tion.

Le gou­ver­ne­ment doit enfin s’en­ga­ger mas­si­ve­ment aux côtés des as­so­cia­tions et fé­dé­ra­tions qui portent des pro­jets de créa­tion de struc­tures d’ac­cueil de per­sonnes en amé­na­ge­ment de peine en leur pro­po­sant une activité d’uti­lité so­ciale, comme c’est au­jour­d’hui le cas pour Emmaüs France.

Face au défi que re­pré­sente au­jour­d’hui la maî­trise de nos dé­penses pu­bliques et pour répondre au be­soin de sé­cu­rité ex­primé par nos conci­toyens, voilà à quoi res­sem­ble­rait un véri­table « programme d’ac­tion » adapté à la si­tua­tion dé­sas­treuse qui règne au­jour­d’hui dans nos pri­sons, que le pré­sident de la com­mis­sion des lois Do­mi­nique Raim­bourg ap­pelle de ses voeux et qui se doit de ne pas ré­pé­ter les er­reurs com­mises par le passé consis­tant à construire en­core et tou­jours des lieux d’aban­don, de re­lé­ga­tion et de ven­geance.

En pre­nant ces quelques me­sures très concrètes, le gou­ver­ne­ment fe­rait preuve d’un cou­rage po­li­tique in­édit et met­trait en quelques se­maines un terme à cette honte et cette hu­mi­lia­tion pour la Ré­pu­blique que consti­tue la sur­po­pu­la­tion car­cé­rale.