L’association Le Village, implantée dans le Vaucluse, porte tout au long de l’année une action de maraudes. Parmi l’équipe de médiation, Paul est sur le terrain auprès des personnes à la rue où, au fil des rencontres, l’accompagnement social permet de tisser des liens.
©Anthony Micallef
« Salut Paul, comment va ton petit ? ». L’ambiance est amicale ce matin à la Maison commune de Cavaillon, l’un des trois accueils de jour gérés par Le Village, membre du Mouvement Emmaüs. Aujourd’hui, Paul, intervenant social, retrouve Bimbo, rencontré il y a sept ans au même endroit. Il vivait alors seul dans la rue, non loin de là. L’accueil de jour devenait pour lui un lieu de repos lorsque les nuits avaient été difficiles. Là-bas, il retrouvait ses « collègues, experts de la rue » comme il les appelle. C’est aussi là-bas qu’il a pu trouver écoute et accompagnement dans ses démarches administratives et de santé. « Ici, on réapprend la dignité. Ça passe par un café chaud et des relations humaines. Le regard des autres est très important quand on vit dans la rue. Paul m’a apporté un respect qui m’a aidé à avoir le déclic pour m’en sortir », explique-t-il, reconnaissant.
Pour Paul, l’accompagnement social dépend d’une vraie coopération, dans laquelle la personne est actrice de son parcours. Pour cela, il est nécessaire de construire progressivement une relation de confiance. « L’accompagnement est un échange. C’est important de partager des choses de soi pour pouvoir recevoir. Il faut prendre le temps de casser l’armure et essayer de comprendre les personnes. Comme pour toute relation humaine ! » précise l’intervenant social.

Paul a rejoint l’équipe du Village en 2018, avec la gestion de la Maison commune. Depuis un an, il assure la maraude sociale, également appelée « médiation de rue », entre Cavaillon et l’Isle-sur-la-Sorgue. Du lundi au jeudi, il visite les personnes sans-abri ou qui fréquentent les accueils de jour. Il se déplace là où il a l’habitude de voir du monde ou selon les signalements qu’il reçoit. Une certaine forme de liberté que Paul apprécie dans son travail quotidien.
Après avoir quitté Bimbo, Paul prend quelques minutes pour aller déposer une couverture à un homme, à qui il rend visite régulièrement, installé avec sa tente dans une zone commerciale. La maraude peut prendre plusieurs formes : accompagnement à des rendez-vous administratifs, orientation vers les partenaires santé et emploi du territoire… Les personnes savent qu’elles peuvent exprimer leurs besoins.
Parfois, Paul fixe des rendez-vous en amont avec les personnes. C’est le cas aujourd’hui avec David, qu’il accompagne depuis deux ans. Il l’attend pour l’aider à débloquer sa situation administrative. Depuis le printemps dernier, David ne parvient pas à obtenir la réponse qui lui permettrait de toucher le RSA. Le manque de clarté dans les services et la généralisation du « tout numérique » ne facilitent pas l’accessibilité des démarches. Coup de chance, la CAF est ouverte au même moment ! David et Paul sont accueillis par un étonnant comité : deux agents de sécurité munis d’un détecteur de métaux exigent le contrôle des sacs. « C’est la première fois que je vois ça, on se croirait à l’aéroport ! » réagit David, contraint de déposer ses affaires à l’entrée. Paul a pu le constater dans son métier, le recours à la sécurité n’est pas une pratique isolée. Un frein de plus dans l’accès aux droits des personnes à la rue, bien éloigné de la réalité de leurs besoins. « Ce serait plus utile de s’assurer que les WC de la ville soient accessibles… » déplore David.
La grande majorité des personnes rencontrées au cours des maraudes, « entre 20 et 30 par semaine » précise Paul, sont des hommes adultes, installés depuis longtemps sur le territoire. Ils vivent la plupart du temps dans des squats, parfois en tente, ou en colocation dans de petits logements très précaires. Le travail agricole, particularité locale, favorise le recours à l’embauche de contrats saisonniers. Il s’agit souvent de personnes exilées et non déclarées. Beaucoup fréquentent les accueils de jour le temps de trouver un travail, aux côtés des habitué·e·s, qui viennent pour prendre un café et voir du monde.
Au Village, les maraudes ont été pensées il y a une douzaine d’années, comme un volet supplémentaire de l’approche développée par l’association en faveur des personnes isolées et fragilisées. Elles ne sont pas soutenues par les municipalités locales : c’est l’Etat qui les financent, à hauteur de 50 000 € par an. Le budget permet la prise en charge de trois postes dédiés. Insuffisant selon l’équipe, au regard de la précarité qui s’étend depuis 2020. Ces derniers mois, le durcissement des règles liées à l’obtention du RSA, auquel Emmaüs France s’est opposé, associé au retrait progressif des collectivités, continue à maintenir la pression sur les acteurs associatifs. Une situation que déplore Paul, pour qui il est essentiel de travailler en binôme et de pouvoir « croiser les regards » sur les situations rencontrées.
Cet après-midi, Paul est de passage à la Maison des possibles, située à l’Isle-sur-la-Sorgue. Il s’agit du deuxième accueil de jour géré par Le Village. Paul y retrouve Baptiste, installé sur la terrasse, la guitare à la main. À 56 ans, il vit sur le terrain d’un ancien verger, que le propriétaire envisage aujourd’hui de vendre. Depuis sa rencontre avec Paul en 2018, l’association l’aide à mettre à jour ses démarches. Un accompagnement en douceur qui lui correspond : « C’est très dur pour moi de me sentir « assisté » alors que j’ai toujours été indépendant. L’équipe des maraudes respecte ça. »

Baptiste est très attaché à sa liberté alors, quand l’association lui a proposé un appartement dans le cadre du « Logement d’abord », l’expérience a tourné court. Contrairement à ce que l’on pourrait penser, tout le monde n’est pas fait pour le logement. C’est entre autres ce qui pousse les travailleurs et travailleuses sociales à toujours adapter leur accompagnement.
Depuis 2017, le plan national pour le Logement d’abord vise l’accès rapide au logement pour les personnes sans domicile. C’est ce qui a permis au Village de louer 20 appartements autour de Cavaillon, pour les personnes, qui deviennent alors sous-locataires. Un dispositif de bail glissant leur permet ensuite, progressivement, de reprendre la location à leur charge.
Un peu plus loin sur la terrasse, Paul discute avec Abel qu’il a rencontré l’année dernière. Installé tout récemment dans un studio flambant neuf, le jeune homme apprend à vivre seul, avec les responsabilités que cela implique. Cet après-midi, il est venu faire le point avec Amélie, qui s’occupe du Logement d’abord depuis 6 ans. Dans ses premiers pas vers l’autonomie, Abel peut compter sur la réassurance de l’équipe. « Notre accompagnement a un aspect éducatif. Abel est très jeune, il a besoin d’une ligne directrice. Mais il ne se rend pas compte que la rapidité de son dossier tient aussi à son implication ! », affirme l’intervenante sociale.
Il est 17h passées et la journée touche à sa fin à la Maison des possibles. Pourtant, les discussions se prolongent : on parle confiance en soi, dessin, aménagement de l’appartement d’Abel… L’un de ces moments où l’informel fait partie de l’accompagnement. C’est aussi ça Le Village, reconstituer des endroits d’humanité et de lien social. Une certaine forme de résistance promue par l’association, face au repli qui se généralise dans la société.
Le Village
Créée en 1993, l’association est un lieu de vie « hybride » alliant l’accueil et l’accompagnement des personnes aux activités d’insertion par le travail. Le Village, c’est:
• 40 personnes hébergées par an au sein de la pension de famille ;
• 40 personnes orientées par le 115 chaque année et accueillies à l’hébergement d’urgence ;
• 100 personnes en insertion sur l’année dans 2 pôles d’activité (écoconstruction et alimentation) ;
• Des actions culturelles et artistiques : l’orchestre « Village Pile Poil », la participation à la coordination du festival « C’est pas du Luxe ! » de la Fondation pour le Logement, des cueillettes solidaires, un atelier de revalorisation de vélos…