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Les Communautés Emmaüs engagées pour un accueil digne des personnes exilées 

Les Communautés Emmaüs engagées pour un accueil digne des personnes exilées 

Fidèles au principe historique d’accueil inconditionnel, les Communautés Emmaüs accueillent aujourd’hui une proportion importante de personnes exilées. Une évolution qui conduit les Communautés à répondre à de nouveaux enjeux. Exemple avec la Communauté d’Angoulême (Charente).

C’est un fourmillement permanent. Au cœur de la Communauté Emmaüs d’Angoulême, installée depuis 37 ans sur le site d’une ancienne papeterie, la cour est continuellement animée d’allers et venues. Impossible de distinguer les Compagnes et Compagnons des bénévoles ou des salariés, comme le raconte Xavier, responsable de la Communauté, avec un sourire teinté de fierté : «  On est tellement ensemble tous les jours que des fois, on ne sait plus vraiment qui est qui ! » Une façon de dire qu’ici, on vit, travaille et s’appréhende d’égal.e à égal.e.

Sur fond d’ambiance bucolique avec ses cours d’eau de part et d’autre des bâtiments d’activité, la Communauté a progressivement installé des espaces de vente un peu partout à la façon d’un petit bourg. Il en émane un enthousiasme communicatif, illustré par Ibrahima, Compagnon en responsabilité, qui veille d’un œil attentif à l’espace meubles, dont il a la charge : « Je venais déjà ici pour du bénévolat et quand je suis arrivé comme Compagnon, j’y ai trouvé une famille. Et puis c’était important pour moi de travailler dans une structure solidaire. » Arrivé à la Communauté en décembre 2019, Ibrahima sait qu’il sera en mesure de demander un titre de séjour d’ici la fin de l’année. Comme le prévoit la loi depuis 2019, toute personne qui justifie de trois années d’activités solidaires dans une structure disposant de l’agrément d’Organisme d’Accueil Communautaire et d’Activités Solidaires (OACAS) peut effectivement demander sa régularisation. Pour le moment, il n’envisage pas de partir, mais plutôt de poursuivre son activité solidaire au sein de la Communauté, comme il le fait fièrement ce jour-là en préparant tables et armoires qui serviront à meubler des logements pour les réfugiés ukrainiens, via l’association Emmaüs Cent pour Un Toit Charente.

À l’image d’Ibrahima, les personnes arrivées en France après un long parcours d’exil sont de plus en plus nombreuses à frapper aux portes des Communautés, suscitant parfois de la méfiance quant à leur intérêt réel pour le projet communautaire. Une crainte balayée par Xavier, Responsable de la Communauté : « On a bien-sûr des gens qui viennent pour les papiers, on le sait, mais ce n’est pas un phénomène nouveau et tout le monde n’est pas dans ce cas. Dans le public « historique », on avait déjà des gens en errance, qui venaient 2, 3 voire 6 mois, et qui repartaient sans s’être impliqués dans la vie communautaire, mais juste pour se reposer un moment. »

Une évolution du travail d’accompagnement des Communautés

Avec l’évolution des profils des Compagnes et Compagnons, les équipes salariée et bénévole se sont progressivement adaptées à la proportion croissante de personnes exilées, arrivant avec des problématiques spécifiques et des besoins nouveaux, comme l’explique Amandine, Intervenante sociale de la Communauté : « Il y a 20 ans, le travail d’intervention sociale consistait essentiellement à s’occuper de la santé et de problèmes d’addictions. Les personnes exilées, elles, arrivent avec la volonté de se faire régulariser, et surtout elles portent souvent les traumatismes liés à leur parcours d’exil qui nécessitent un suivi psychologique. »

L’expérience angoumoisine montre que le phénomène est similaire chez de nombreuses personnes exilées : la période qui suit l’arrivée en Communauté est d’abord synonyme d’apaisement. Après de longs mois – parfois de longues années – d’exil, les personnes peuvent enfin satisfaire les besoins les plus élémentaires et se reposer. Puis, après un certain temps, les traumatismes rejaillissent. Face à l’ampleur des besoins, la Communauté est entrée en contact avec l’Agence Régionale de Santé (ARS), qui prépare un projet avec d’autre associations, telles que France Terre d’Asile, pour répondre à ce type de problématique. À partir du printemps, la Communauté, comme un des lieux « sentinelle » par l’ARS, accueillera des permanences infirmières et psychologiques afin d’accompagner les personnes exilées dans le cadre d’un suivi étroit.

Le rajeunissement des personnes accueillies et l’accueil des familles a indiscutablement participé à diversifier l’activité d’Amandine, qui explique que les nouveaux profils induisent logiquement de nouveaux besoins : « Avec les familles, ma mission consiste aussi à travailler en lien étroit avec les haltes-garderies, les crèches, les écoles ou encore les bus scolaires, bref, à prendre en compte aussi les besoins des enfants ». Un public qui n’était pas accueilli dans cette Communauté il y a encore 20 ans.

Conséquence de la situation administrative de nombreuses personnes accueillies, une autre évolution majeure dans le travail quotidien d’accompagnement a consisté pour les Communautés à se familiariser avec le droit des étrangers, comme le raconte Xavier : « Au départ on faisait ça nous-mêmes. Puis certaines personnes de l’équipe ont fait des formations avec le Groupe d’Information et de Soutien des Immigrés (GISTI) pour assurer au mieux le suivi des dossiers. Mais ça évolue tellement, et le nombre de Compagnes et Compagnons à suivre a tellement augmenté, que nous recourons maintenant à des avocats. »

Un « trépied » solide et dynamique au service des personnes exilées

Dans cette perspective, le travail a significativement changé depuis la loi de 2019, qui conditionne l’obtention d’une régularisation à certains critères. Outre la maîtrise de la langue française, la loi exige un projet personnel solide. Autrement dit, les Compagnes et Compagnons qui demandent à être régularisés doivent pouvoir justifier d’un parcours de formation et de développement de compétences qu’ils vont pouvoir valoriser ensuite dans le monde du travail. Cela rejoint un travail de fond déjà entamé depuis plusieurs années pour permettre à des Compagnes et Compagnons de faire des stages d’une à deux semaines en entreprise, sous une couverture en responsabilité civile de la Communauté.

Pour répondre à ces exigences, les membres de la Communauté ont travaillé ensemble, comme l’explique Amandine : « Les Compagnes et les Compagnons ont commencé à venir me voir en nombre en me disant qu’ils avaient « leur 3 ans», et en me demandant comment il fallait procéder. C’est de là qu’est née l’idée de travailler avec tous les membres du trépied ».

Forte de près de 90 bénévoles dont une bonne moitié très active, la Communauté a pu organiser des temps d’échanges en petits groupes, animés par des binômes Compagnes ou Compagnons et bénévoles. L’occasion de recevoir un représentant de la Préfecture, « venu expliquer comment monter le dossier et ce qui est attendu par les services dans l’instruction des dossiers. », raconte Amandine, qui salue la démarche peu commune. Elle regrette cependant que depuis, 9 dossiers qui sont censés faire l’objet d’un traitement positif soient toujours en attente, suscitant l’agacement d’Assia, Compagne et membre du bureau de la Communauté : « on attend toujours une réponse, et malgré l’aide des bénévoles et des salariés, la Préfecture ne nous répond pas ! »

Une frustration perceptible chez chacune et chacun des Compagnes et Compagnons présents ce matin-là en salle de réunion. À l’ordre du jour pour Assiya, Rustam, Nour et les autres, à l’enthousiasme malgré tout intact : une séquence de formation avec l’association Atout Charente Emploi, pour comprendre le fonctionnement de Pôle Emploi et préparer des entretiens d’embauche.