Relayant une campagne lancée en 2012 à l’échelle européenne, Emmaüs France, Emmaüs Solidarité et la Fondation abbé Pierre ont lancé le 11 avril une nouvelle campagne d’interpellation. A un an des élections municipales, le Mouvement appelle les maires à cesser de criminaliser la pauvreté.
Transformation du mobilier urbain, arrêtés anti-mendicité, anti-glanage, anti-bivouac… Les procédés « anti-sdf » sont désormais légion. L’abrogation des délits de mendicité et de vagabondage en 1994 aurait dû contribuer à la lutte contre l’exclusion et la stigmatisation de la pauvreté en France. Pourtant, vingt-et-un an plus tard, il n’en est rien : de plus en plus de maires usent de leur pouvoir de police pour pratiquer ce type d’arrêtés, pénalisant une catégorie spécifique de la population qui se retrouve dans ces situations par nécessité. A titre d’exemple, 38 euros d’amende sont parfois demandés pour avoir mendié, fouillé dans les poubelles ou pour avoir occupé un bout de trottoir… Certaines villes font en outre preuve d’une grande créativité pour modifier le mobilier urbain et le rendre inhospitalier aux sans-abris : retrait des bancs et installation de banquettes penchées en avant, implantation sur les trottoirs de plots et de pics le long des magasins et des banques, réaménagement des grilles de chauffage… Autant de dispositifs qui ne sont en rien une solution.
Sensibiliser les citoyens
Alors que la pauvreté augmente, les autorités font donc trop souvent le choix de la pénalisation. Mais le traitement répressif de la misère est une réponse intolérable, et l’espace public doit demeurer ouvert à tous. C’est donc pour interpeller les élus et le grand public sur ces situations intolérables qu’Emmaüs France, Emmaüs Solidarité et la Fondation abbé Pierre ont décidé de lancer en France la campagne « La pauvreté n’est pas un crime ». Initiée en 2012 par la Fédération Européenne des Associations Nationales travaillant avec les Sans-Abri (FEANTSA), cette campagne a été déclinée depuis dans plusieurs pays européens avant d’arriver en France, où le Mouvement Emmaüs a choisi de la relayer, compte tenu de son histoire et de ses valeurs. « L’opposition de la ‘France qui travaille plus’ à la ‘France des assistés’ a créé une véritable stigmatisation des exclus, a expliqué Christophe Deltombe, Président d’Emmaüs France, à l’occasion de la conférence de presse de lancement le 11 avril dernier. Opposer les ‘bons pauvres’ qu’on ne voit pas aux ’mauvais pauvres’, qui mendient et fouillent les poubelles, n’est absolument pas une solution.» « Cela veut dire que les personnes ne peuvent plus compter sur les moyens du bord pour survivre, car chaque pas peut aboutir à une verbalisation ou à une condamnation. Cela contribue à stigmatiser et à affaiblir des personnes déjà faibles », a complété Christophe Robert, Délégué Général Adjoint de la Fondation abbé Pierre.
Interpeller les maires
La date de lancement de la campagne « La pauvreté n’est pas un crime » n’a pas été choisi au hasard : à un an des élections municipales, l’objectif est bien de forcer les élus et les candidats à prendre position sur ce sujet, tout en recensant les arrêtés existants dans le pays afin de les dénoncer. Pour cela, un site Internet dédié permettra aux citoyens de s’impliquer dans cette campagne en signant la Charte municipale des droits des personnes en détresse et en informant sur les mesures pénalisantes de leur ville. Tous ces procédés – mobilier urbain, arrêtés, recours en justice – ont évidemment un coût : pourquoi ne pas utiliser cet argent autrement ? « Alors que les politiques actuelles ne créent aucun espoir, les associations apportent des solutions à ces problèmes de pauvreté et d’exclusion, a plaidé Marc Prévot, Président d’Emmaüs Solidarité. Plutôt que de pénaliser la pauvreté, les maires devraient se pencher sur les démarches d’accès aux soins, aux droits et à l’emploi, avec un objectif : l’autonomie des personnes. » En mars 2013, la Hongrie a inscrit l’interdiction de dormir dans la rue dans sa constitution. Et partout en Europe, le plus souvent au niveau local, les mesures discriminantes se multiplient, avec un coup réel pour les collectivités. Il est donc primordial aujourd’hui de dénoncer ces pratiques, car comme l’abbé Pierre le rappelait régulièrement, « il ne faut pas faire la guerre aux pauvres, mais à la pauvreté ».