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Interview d’Annick Berthier, nouvelle Présidente d’Emmaüs France depuis le 24 septembre 2020

Interview d’Annick Berthier, nouvelle Présidente d’Emmaüs France depuis le 24 septembre 2020

Cette élection est une première dans l’histoire du Mouvement Emmaüs qui est présidé par des hommes depuis 70 ans…

Oui j’avoue ressentir un peu de fierté et j’ai une pensée pour toutes les femmes qui travaillent dans ce Mouvement. Les réactions très positives, exprimées dans notre organisation par des femmes mais aussi des hommes, m’ont fait très plaisir. Je mesure aussi la grande responsabilité que cela représente !

Pourquoi avoir choisi de vous engager chez Emmaüs ?

J’ai rejoint le Comité d’Amis Emmaüs de Chalon-sur-Saône peu de temps après la fin de ma carrière professionnelle, il y a 7 ans. Je ne concevais pas de passer ma retraite devant la télé !

Emmaüs était l’association se rapprochant le plus de tout ce que j’ai défendu pendant ma vie personnelle et professionnelle : la relation à l’autre, l’acceptation de la différence, l’accueil et l’écoute sans condition…

Dans le groupe Emmaüs de Châlon, j’avais choisi de me consacrer au tri des fournitures scolaires,  pour créer une continuité avec « l’aide aux devoirs » que j’avais initiée précédemment. Je suis toujours, en parallèle de mon mandat de Présidente, en charge de ce tri et je souhaite le rester pour garder les pieds sur terre.

La suite de mon engagement chez Emmaüs, et plus particulièrement au sein d’ Emmaüs France, est liée à ma rencontre avec Thierry Kuhn, ancien Président d’Emmaüs. Il m’a immédiatement donné l’impression d’être chez moi quand il me parlait d’Emmaüs et m’a donné l’envie de m’y investir davantage en me proposant de rejoindre le conseil d’administration.

Quel est votre parcours professionnel ?

J’ai une formation d’animatrice socio-culturelle, ce qui m’a permis d’intégrer très vite les services de la Ville de Chalon-sur-Saône et de diriger des centres sociaux pendant trente ans, principalement dans des quartiers défavorisés. Au cours de ma carrière, j’ai également obtenu un diplôme de travailleur social et j’ai ainsi travaillé en lien étroit avec les familles, les jeunes (ma prédilection !) les associations de quartiers … Puis j’ai dirigé, durant les trois dernières années de ma vie professionnelle, le service jeunesse de la ville.

Vous entamez ce mandat en pleine crise sanitaire et sociale. Quelles sont les conséquences directes pour Emmaüs France? 

Oui mon mandat débute dans une période difficile pour tous dans bien des domaines.

Les conséquences sont lourdes, toute la vie des groupes Emmaüs est bouleversée au même titre que la vie de beaucoup de Français. Nos inquiétudes concernent d’abord la protection des personnes mais aussi la santé économique des différentes structures.

Nous sommes dans ce que l’on appelle « la deuxième vague » avec son lot d’incertitudes et de craintes.

Emmaüs France a lancé un appel à dons inédit lors du confinement et l’intérêt qu’il a suscité a confirmé l’attachement des Français à Emmaüs et au souvenir de l’abbé Pierre. Il a permis de sauver plusieurs groupes Emmaüs de situations financières difficiles voire du dépôt de bilan, ce qui aurait mis en péril l’avenir des personnes hébergées ou accompagnées. Malheureusement ces opérations de «  sauvetage » ne sont pas terminées. De nombreuses structures Emmaüs restent très fragiles alors que la crise sociale s’intensifie et que nous allons devoir faire face à une forte augmentation des demandes d’accueil et d’accompagnement dans les prochains mois.

Justement, cette crise a déjà fait basculer un million de personnes dans la pauvreté, quel rôle doit jouer Emmaüs ? Quels sont les enjeux immédiats et à long terme?

Pendant le premier confinement, les groupes Emmaüs ont  hébergé, nourri et protégé des milliers de personnes à la rue ou en situation d’exclusion, oubliés par les pouvoirs publics qui ne se sont pas concentrés sur ces « invisibles ». De nombreuses associations Emmaüs ont improvisé des initiatives de solidarité comme Emmaüs solidarité et la Fondation Abbé Pierre ou encore les Comités d’Amis Emmaüs de Armantières et Ornans qui ont organisé des maraudes et des distributions de biens de première nécessité dans leurs territoires. Je ne peux pas tous les citer mais je les remercie pour leur travail difficile.

Ces actions, si elles sont essentielles, ne suffisent pas ! Emmaüs se doit, aux côtés des associations et collectifs qui partagent nos valeurs, de porter la voix des plus vulnérables et d’interpeller l’Etat sur le manque de dispositions mises en place et d’exiger plus de moyens et des choix courageux pour faire face à la crise sociale actuelle. Le plan de relance et le plan de lutte contre la pauvreté ne sauraient nous satisfaire car ils manquent de mesures structurelles. L’attribution de quelques centaines d’euros ponctuellement aux familles en difficulté n’est pas une solution pérenne pour lutter contre la pauvreté qui augmente massivement dans notre pays.

Que voudriez-vous voir évoluer chez Emmaüs France avant la fin de votre mandat ?

Je souhaite renforcer le soutien dédié à l’innovation et au développement des groupes Emmaüs.

Notre activité traditionnelle de récupération, valorisation et revente des objets d’occasion reste notre modèle privilégié mais d’autres activités commencent à émerger et nous souhaitons les encourager et accompagner leur développement. Je pense aux fermes agricoles, aux activités de maraichage dans de nombreuses communautés Emmaüs, à Pages solidaires pour la vente de livres en ligne et bien d’autres projets en cours de lancement.  Il nous faut du renouveau, de l’imagination et de l’innovation, pour créer une diversité de leviers d’insertion. Ce processus est en marche et je fais confiance aux groupes du Mouvement. Emmaüs France les soutiendra.

Je considère également la défense des migrants comme une priorité. Aujourd’hui ils ne sont plus accueillis dignement dans notre société, ils ne sont plus traités comme des êtres humains. Nous demandons une régularisation massive des personnes sans papiers, dont la vie est bloquée par leur statut administratif pendant des années.