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Actualité / Agriculture

La Ferme Emmaüs Maisoncelle, un sas entre la prison et le retour à la liberté 

La Ferme Emmaüs Maisoncelle, un sas entre la prison et le retour à la liberté 

Après trois années de développement du projet, l’association « À l’air libre » a accueilli mi-janvier ses premiers résidents à la Ferme Emmaüs Maisoncelle, près de Poitiers (Vienne). Développant une activité d’agroécologie, ce dispositif visant la réinsertion de personnes en fin de peine de prison est le 5e du genre au sein du Mouvement Emmaüs. 

Premier objectif atteint. La Ferme Emmaüs Maisoncelle prévoyait d’accueillir ses premiers résidents courant janvier 2023, et c’est chose faite. Ils sont déjà trois à avoir quitté la cellule qui était leur quotidien pour une ferme de la campagne mélusine, encore aux allures de chantier par endroits.  

Dans la lumière rasante d’un matin de février, ils sont ainsi une poignée à s’affairer sous les serres récemment montées, et à répondre, sourires aux lèvres, aux bonjours que Bruno Vautherin, le directeur, leur lance depuis le chemin communal qui traverse la propriété.

La force du collectif au service de l’essaimage 

« On a posé la première bâche vendredi dans des conditions difficiles. On était 12, mais avec le vent qui soufflait, c’était épique ! » raconte-t-il, d’une voix teintée de soulagement et d’enthousiasme.  

Un enthousiasme qui semble porter Bruno depuis qu’il a découvert l’existence de ces lieux de vie et de travail un peu atypiques, courant 2020. Celui qui est alors directeur adjoint aux Ateliers du Bocage (membre du Mouvement Emmaüs) se met à imaginer un lieu de vie et d’accueil similaire près de chez lui : « Je ne suis pas entrepreneur dans l’âme, mais je suis allé voir à Moyembrie à quoi ça ressemblait et j’ai trouvé ça génial ». C’est parce qu’il y avait cette dynamique d’essaimage et l’appui du Mouvement Emmaüs avec un accompagnement, des moyens et des temps de partage d’expériences avec les autres fermes que je me suis lancé. Sans ça, je n’aurais pas essayé ! », explique-t-il tout en nous faisant la visite du site. 

L’association « À l’air libre » voit le jour, portée par une vingtaine de bénévoles qui croient au projet autant que Bruno, et soutenue par des partenaires convaincus de sa pertinence, y compris du côté des pouvoirs publics : « Depuis le début on a un soutien fort de la Direction de l’administration pénitentiaire de la Vienne, qui croit aux vertus du modèle. »  

L’essaimage des fermes – Décryptage.   Depuis l’ouverture de la Ferme d’Emmaüs Lespinassière dans l’Aude en 2016 – inspirée du modèle de Moyembrie (Aisne), les fermes essaiment. Fort de l’impact positif de cette première ferme sur le parcours des personnes qu’elle accueille depuis 1990, le Mouvement Emmaüs a décidé d’initier une dynamique de duplication de ces structures innovantes, qui mêlent activités agroécologiques et projet de réinsertion de personnes placées sous main de justice, le plus souvent après de longues peines. Depuis, la Ferme Emmaüs Baudonne (Landes) a ouvert ses portes en 2020 avec la spécificité d’accueillir des femmes sortant de prison, et celle de Sources d’Envol (Ker Madeleine basée à côté de Nantes) s’est lancée en 2021. Les équipes des 5 fermes existantes et des 4 projets à venir se réunissent régulièrement dans le cadre d’un collectif.  À terme, le Mouvement Emmaüs devrait compter 10 fermes, soit une par interrégion pénitentiaire. 

Le maraichage comme activité support à la réinsertion  

Et en 3 ans, les choses ont avancé à un rythme effréné jusqu’à la récupération des clés de la ferme, en mai 2022. Depuis, les arrivées se sont faites successivement. D’abord l’équipe encadrante autour de Bruno, puis les salariées en insertion non-résidents à partir de septembre, avant les premiers sortants de prison mi-janvier, qui seront 12 à terme à Maisoncelle. Et c’est là une des spécificités du projet, qu’explique Bruno : « On a voulu innover et créer une forme de mixité dans les personnes accueillies avec des salariés en insertion « classique », et des résidents, sous-main de justice, qui, eux, travaillent et vivent ici pour des durées allant de 6 à 18 mois. » 

Sur deux hectares de surface agricole, dont 1800m² sous serres, les salariés extérieurs et les résidents ont déjà commencé à travailler la terre en même temps que leur avenir. L’ail, les oignons et les fèves sont déjà visibles en plein champ, et ce n’est que le début. Le projet est encore dans une phase de mise en place à laquelle chacun contribue avec fierté, à l’image de Rodolphe, le premier résident arrivé à la ferme, qui profite du soleil et du grand air avec un sourire gourmand : « Après des peines de 10 ans puis 8 ans de détention, j’avais deux possibilités pour finir ma peine, et quand je suis venu visiter Maisoncelle, j’ai su que c’était ici qu’il fallait que je vienne ! La première fois je n’ai pas eu cette chance et je suis retourné d’où je venais. Ici, le lieu est magnifique et c’est intéressant de participer au lancement de la ferme. » 

Au-delà de l’activité de maraichage, les fermes comme Maisoncelle sont une étape primordiale dans le parcours des résidents. À la fois lieu de vie et lieu de travail pour se reconstruire après la prison, elles sont un véritable « sas » pour préparer la liberté et favoriser leur réinsertion. Les résidents font l’objet d’un accompagnement individualisé, assuré par Mélanie : « On a plein de choses à travailler et on s’adapte aux besoins de chacun : démarches administratives, recherche de logements, rendez-vous de santé, etc. Mais ce n’est qu’une partie du travail. Quand on a des gens qui ont fait de longues peines de prison, on doit travailler aussi sur la réadaptation sociale. Pour quelqu’un qui a fait 20 ans de prison, il faut s’imaginer ce que ça va être de faire toutes ses démarches de façon dématérialisée ! » 

Réapprendre la vie en collectivité et l’autonomie 

La visite à peine terminée, il est déjà l’heure du point hebdomadaire où tout le monde se rassemble pour planifier la semaine. Ici, chacun participe à toutes les tâches, de la préparation des repas jusqu’au ménage des espaces communs. Difficile de faire la différence entre les résidents et les salariés extérieurs dans l’ambiance joviale qui se dégage du groupe.  

Alors que Mélanie tente de remplir le tableau des tâches, Philippe et Zinedine, les deux autres résidents, sont lancés, hilares, dans un concours de jeux de mots qui emporte rapidement toute l’assemblée. Il ne se connaissent que depuis quelques semaines et malgré la trentaine d’années qui les sépare, une grande complicité semble s’être nouée, confirmée par Zinedine : « Ça fait peu de temps que je suis là et j’ai l’impression de connaitre Rodolphe et Philippe depuis des années ! Dès mon arrivée ils m’ont bien accueilli et accompagné. » Au rythme de la vie en collectivité proposée à la ferme, Zinedine et ses camarades vont progressivement réapprendre à vivre libres, ensemble, travailler et partager des temps de loisirs.  

Cet après-midi, Zinedine a rendez-vous à la Mission locale, mais avant ça, il a demandé s’il pouvait rapporter des livres à la bibliothèque, et conclut : « Aujourd’hui c’était le dernier jour pour envoyer ma demande de remise de peine pour cette année. Mais honnêtement, je ne vais pas l’envoyer. Comme j’ai été tranquille, je pense qu’ils m’auraient donné mes 3 mois. Mais je suis bien ici, je veux rester jusqu’à la fin et mettre toutes les chances de mon côté pour être le plus stable possible. »