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Emmaüs en résistance aux côtés des migrants : lettre au Président de la République

Emmaüs en résistance aux côtés des migrants : lettre au Président de la République

A l’heure où le gouvernement durcit le ton en matière d’immigration, Emmaüs France, dans une lettre au président de la République, appelle à une politique d’accueil inconditionnel « digne, respectueuse et intégrante » et s’oppose à la politique d’enfermement et d’expulsion.

Montreuil, le 4 novembre 2019

 

Monsieur le Président de la République,

Vous savez qu’au-delà de l’activité de récupération et de réemploi, les fondements d’Emmaüs reposent sur l’accueil inconditionnel et la solidarité aux personnes les plus démunies ; à la rue, exclues ou en voie de l’être.

Parmi elles, nombreuses sont d’origine étrangère, hors des prises en charges de l’Etat exceptée l’AME. Elles vivent en situation irrégulière ; souvent entrées dans la clandestinité après un refus de régularisation, elles sont restées parce que venues en France pour y vivre et s’installer, fuyant pour la plupart une vie insupportable voire des risques majeurs mettant en péril leur intégrité ou même leur vie dans leur pays d’origine.

Nous les accueillons dans nos centres d’urgence pour les mettre à l’abri, ou au sein de nos communautés pour y vivre et participer au travail solidaire dans des activités de récupération et de remise en état. Dans tous ces lieux, l’accueil pratiqué est inconditionnel, sans jugement sur le passé ou l’origine des personnes accueillies. Nos communautés, créées il y a 70 ans par l’Abbé Pierre sans préoccupation de statut administratif, sont reconnues aujourd’hui comme un modèle de reconstruction et d’insertion. Elles vivent de leurs ventes et sont indépendantes des subventions des pouvoirs publics, tout en équilibrant leurs comptes. Elles permettent à ces personnes la connaissance, le partage de notre langue, de notre société, de nos coutumes. Elles préparent comme la loi le reconnaît à une possible régularisation après 3 années passées en communauté.

Depuis de nombreux mois, nous constatons une volonté de contrôle de ce public dans nos centres d’accueil, créant des conditions qui mettent en cause l’action des travailleurs sociaux et la qualité de notre hospitalité. Nous constatons également des interpellations de plus en plus fréquentes de compagnons accueillis en communauté, des mises en rétention, voire des expulsions à l’encontre de personnes présentes depuis plusieurs années dans nos structures. Pourtant ces compagnons, qui contribuent à l’activité solidaire des communautés, n’ont rien à voir avec des délinquants.

Nous avons demandé une audience auprès du Ministre de l’Intérieur pour évoquer avec lui la situation. Il n’a pas jugé nécessaire de nous répondre. Nous le regrettons vivement et ce silence nous oblige à nous adresser à vous sous cette forme.

Si la loi permet ces interpellations, nous nous y opposons néanmoins, parce que les procédures sont souvent brutales et oublieuses des droits des personnes ; elles sont la négation du modèle d’accueil et d’intégration communautaire évoqué plus haut. Nous contestons une politique qui se veut humaine mais ferme, mais dans laquelle nous cherchons vainement l’humanité dans les bidonvilles qui se créent aux portes de nos villes ; ou lorsque dans un couple que nous accueillons, on renvoie le mari dans son pays d’origine en laissant la femme en France, hospitalisée et sans ressources. Nous refusons l’expulsion d’êtres humains qui luttent pour leur survie :  installés sur notre territoire depuis plusieurs années, il leur est interdit de travailler ; ils se trouvent ainsi condamnés, parce qu’ils sont étrangers, à être exploités par des marchands de sommeil ou par des employeurs peu scrupuleux.

Leur nombre est considérable – plusieurs centaines de milliers ! Ils sont plus que d’autres exposés à la pauvreté. Ils restent en dehors de toutes les statistiques. Enfin ils ont été oubliés au cours du récent débat à l’Assemblée Nationale.

Vous avez souhaité, Monsieur le Président, poser publiquement la question de l’immigration. Mais cette situation est le résultat de la mise en place depuis des années, de politiques de plus en plus restrictives, de procédures de régularisation de plus en plus complexes, de pratiques de contrôle des personnes de plus en plus brutales ; toutes ces mesures ayant pour cible la dissuasion destinée à éviter « l’appel d’air » et rassurer un grand public « inquiet » d’être envahi. Aucun gouvernement précédent, quelle que soit sa couleur politique n’avait avancé aussi loin dans la répression ; allant jusqu’à condamner, comme récemment au tribunal de Gap, des personnes venues au secours de migrants en détresse.

En emprisonnant et en expulsant des personnes migrantes du fait de leur situation administrative, le gouvernement enfreint ses propres règles, puisque le Code de l’Action Sociale et des Familles stipule que : Toute personne sans abri et en situation de détresse médicale, psychique et sociale a accès, à tout moment, à un dispositif d’hébergement d’urgence. Il détruit aussi le principe, fondamental pour nous, de l’accueil inconditionnel. Comment les personnes migrantes vont-elles avoir confiance dans l’hébergement et l’accueil proposé par les associations ou nos communautés, si cela ne les met pas à l’abri d’investigations inquisitoires et du risque d’expulsion ?

Monsieur le Président, la solution pour réduire le coût de l’AME et mettre un terme aux multiples exploitations indignes de notre pays à l’égard de tous ces gens venus d’ailleurs, repose sur une large régularisation ou a minima l’autorisation de travailler. Certes ces normalisations existent mais elles sont accomplies au compte-gouttes, au cas par cas, laissant chaque préfet apprécier les situations et décider seul, puisque c’est sa responsabilité. Cette situation conduit, pour des cas comparables, à une variété insupportable de décisions selon le lieu et l’époque.

Le Mouvement Emmaüs, conformément à une décision du Conseil d’Etat, refusera de dénoncer les personnes migrantes en situation irrégulière ; il n’ouvrira pas ses lieux d’hébergement à des contrôleurs administratifs ; il considérera les hébergements comme le domicile privé des personnes accueillies. Conformément à une décision du Conseil Constitutionnel, il accompagnera les personnes qui aident les migrants une fois parvenus sur notre territoire, y compris en justice si nécessaire.

La France, terre historique d’immigration, n’est pas plus envahie aujourd’hui que par le passé. Beaucoup de français ont une ascendance étrangère. C’est une des forces de notre pays que d’avoir su, tout au long de son histoire, assimiler ces divers apports culturels. La richesse se crée dans la diversité. C’est encore possible aujourd’hui, comme il est possible de faire de l’immigration une dynamique de croissance et non une charge.

Monsieur le Président, nous vous appelons à reconsidérer la situation de ces personnes dites « en situation irrégulière », oubliées dans les débats et les propositions. Nous appelons aussi à une politique d’accueil digne, respectueuse et intégrante, comme doit le faire une société libre, égalitaire et surtout fraternelle.

Je vous prie de croire, Monsieur le Président de la République, à ma très haute considération.

Hubert TRAPET

                                                                                                                 Président d’Emmaüs France

 

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